Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?


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Quand l'embryon deviendrait-il une personne : à la naissance, à l'implantation in utero ?

Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?
Il suffit que l’embryon soit une personne humaine pour être qualifié de personne, tout court, et cela ne dépend pas de ce qu’il a la personnalité juridique ou non.

Pour qu’il y ait une personne humaine, il faut, au moins, un être humain, c’est-à-dire un individu humain. Cette première exigence est facilement vérifiée. L’embryon humain est un individu humain, un être humain. C’est en effet un être organisé qui possède en lui-même le principe de son propre développement. Cette donnée scientifique est admise dans le débat actuel. Ce qui est en cause, c’est sa qualité de personne.

Suffit-il d’être un être humain, un individu humain, pour être une personne humaine ? De nombreux critères peuvent être proposés comme susceptibles de caractériser le moment où l’individu devient une personne. Certains sont liés à un certain seuil de développement : parmi ceux-ci, les plus couramment proposés sont, traditionnellement, la naissance ou, plus récemment, l’implantation de l’embryon. La naissance est le seuil le plus significatif car le plus visible et, en outre, le critère de l’acquisition de la personnalité juridique.

Mais qu’est-ce qui distingue fondamentalement l’enfant, une seconde avant l’accouchement, du même enfant, une seconde après ? En outre, l’accouchement peut être avancé ou retardé, et comment la qualité de personne de l’individu concerné pourrait-elle dépendre de ce que l’accouchement a été provoqué tel ou tel jour ?

Plus généralement, il est clair que la qualité de personne de l’intéressé ne saurait découler des circonstances dans lesquelles il se trouve, des éléments extérieurs à lui comme le fait d’être in utero ou déjà né, ou, encore, le fait d’être in utero ou in vitro.

Une autre proposition est de distinguer entre l’embryon pré-implatatoire, qui peut être cultivé in vitro jusqu’au septième jour, et l’embryon implanté. On utilise aussi les termes de pré-embryon ou, encore, de blastocyste, (terme scientifique qui désigne l’embryon dans cette phase précoce). Pourtant, la science établit que le développement de l’oeuf humain est continu et que la nidation dans l’utérus n’entraîne pas, en elle-même, de modification mais ne fait que permettre au développement de l’embryon de se poursuivre.

L’individu humain deviendrait-il une personne avec la conscience de lui-même ?

Plus sérieusement, on peut songer à lier l’émergence de la personne à certains éléments considérés comme caractéristiques : la conscience, la pensée, la relation. En particulier, la conception relationnelle de la personne sous-tend la distinction qui est faite entre l’embryon qui fait l’objet d’un projet parental et celui dont les auteurs se sont désintéressés.

L’individu humain deviendrait donc une personne avec la conscience de lui-même, la pensée ou la relation avec ses semblables. Il est naturel de songer à de tels critères, qui sont bel et bien le propre de la personne : effectivement les animaux ne pensent pas, ni n’ont conscience d’eux-mêmes ni n’entretiennent de relations avec autrui.

Pour autant, aucun de ces critères n’est satisfaisant car, tous, ils désignent des actes, des actions. Tout ce qu’ils peuvent manifester, c’est le moment où la personne agit comme telle. Or, c’est le moment où la personne existe et non pas celui où elle agit qui est recherché. Pour pouvoir agir ainsi, comme une personne, il fallait que l’individu soit une personne, sinon il n’aurait pas pu poser ces actes caractéristiques.

Ces critères sont donc mal fondés philosophiquement pour identifier le moment où la personne existe. On pourrait pourtant se résigner à s’en satisfaire, dans un but pragmatique mais aucun des critères envisageables ne peut être utilement mis en oeuvre. En effet, si on identifie l’apparition de la personne avec, par exemple, la conscience de soi, il est bien délicat de dégager un moment précis avant lequel la personne n’existe pas et après lequel elle existe. La même difficulté nous attend avec la pensée et la relation. Ces critères ne présentent donc pas d’utilité pratique.

Pour le principe de précaution : dans le doute, ne pas risquer de tuer une personne

Finalement, le simple fait de reconnaître qu’on ne peut se prononcer avec certitude sur la nature de l’embryon devrait, en vertu du principe de précaution, suffire à le considérer, dans le doute, comme une personne.

Imaginons une cour d’assises, devant laquelle une personne plaiderait ainsi : j’avais un fusil, j’ai vu bouger dans le fourré, je ne savais pas s’il s’agissait d’un collègue ou d’un gibier et, dans le doute, j’ai tiré. Un tel raisonnement a-t-il une chance de convaincre le jury ? Dans le doute, il ne faut pas tirer, car il vaut mieux laisser filer le plus beau gibier que prendre le risque de tuer une personne.
Dans le doute, il vaudrait mieux renoncer à utiliser l’embryon que de prendre le risque de sacrifier une personne.

La prudence invite donc à traiter l’embryon comme une personne, pour le cas où il en serait une. Mais, de toute façon, le stade du doute est dépassé, et la raison plaide pour considérer l’embryon comme une personne, puisque rien ne justifie de distinguer l’être humain de la personne humaine. N’est-il pas logique de considérer tout être humain comme une personne humaine ? Comment un être humain pourrait-il être autre chose qu’une personne humaine ?

Certains êtres ne seraient pas des personnes ?

Admettre que l’embryon n’est pas une personne mais le devient, suppose d’admettre que certains êtres humains ne sont pas des personnes. Pourquoi cette proposition ne pourrait-elle concerner que les embryons ? La qualité de personne humaine pourrait aussi être déniée à tous les êtres humains qui ne remplissent pas la condition retenue pour passer du statut être humain au statut personne (rappelons que la notion de personne est sensée relever de l’ordre du choix subjectif).

Si l’être humain, puisque l’embryon en est un, ne devient une personne que progressivement, cela exige d’admettre des états intermédiaires entre cet être humain non personne et cet être humain qui en est une : un être humain à 20 %,50 %, 80 %, puis 100 % personne ? Et, encore une fois, pourquoi cette graduation dans la personnalité ne concernerait-elle que les embryons ?

Si la réalité est objective, il faut rechercher ce qu’est l’embryon, en soi

Tout dépend finalement d’une option philosophique de départ : soit on décide ce qu’est la personne et, en particulier, si l’embryon en est une, soit on le recherche afin de le constater. Si la réalité est objective, il faut rechercher ce qu’est l’embryon, en soi. S’il n’y a pas de nature des choses, de réalité embryon à constater, il appartient à chacun de percevoir l’embryon comme sa subjectivité le lui indique, en fonction de ses données personnelles, et à la société de trouver un consensus sur le sujet.

Le législateur actuel retient ce système subjectif, partant du principe que la nature de l’embryon est une question d’opinion.
Il situe ainsi d’emblée le débat dans le système du choix, ce qui est, en soi, un choix, un parti pris de départ, qui demanderait au moins à être justifié. Par ailleurs, si ce qu’est la personne relève du choix subjectif, il faudrait en tirer les conséquences. Comme on l’a dit, pourquoi cela ne concernerait que les
embryons ?

Accepter de rechercher ce qu’est un embryon, et renoncer à le décider

Même cantonné au cas de l’embryon, le système ne fonctionne pas. Chacun est censé penser ce qu’il veut de l’embryon. Est-ce le cas du chercheur qui a besoin d’embryons pour sa recherche ? Pense-t-il ce qu’il veut ? En tout cas, il ne fait absolument pas ce qu’il veut. Il en va de même de l’homme et la femme à l’origine d’un embryon. Ils ne prennent pas leurs décisions en conséquence de leurs convictions personnelles, ils ne peuvent décider du sort de l’embryon que parmi les possibilités offertes par la loi.
Est-ce que cela ne manifeste pas que, en réalité, la définition de la personne, même lorsqu’il ne s’agit que de l’embryon, ne relève pas du choix subjectif ?

Accepter de rechercher ce qu’est un embryon, et renoncer à le décider, c’est le moyen de rétablir le débat bioéthique sur des bases saines. En ces termes, le débat deviendra compréhensible et on sortira de cette ambiguïté qui rend toute discussion opaque et sans issue. Il n’y a rien de moins à gagner que le respect comme telle de la personne humaine, de toute personne humaine.

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Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé

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