Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?


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Qu'est-ce qu’un embryon ? Une personne ou un objet ? De cette réponse dépend tout son statut. Une juriste donne son éclairage, tandis que les lois bioéthiques sont revus cette année en France.




Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?
L’embryon est-il une personne ? La question est, volontairement, directe. Car la réponse ne peut être que oui, ou non. Notre civilisation ne connaît pas en effet de demi personnes ni de personnes à 80% ou à 120%. Le recours à des termes intermédiaires comme "personne potentielle", "personne humaine en devenir" ou "projet de personne", utilisées par le comité consultatif national d’éthique, ne résout rien car, finalement, il faut traiter l’embryon comme une personne, ou pas.

La question est avant tout philosophique et présente des aspects scientifiques. Pourtant, il nous faut partir de la loi car, quel que soit l’intérêt des débats qui précèdent, accompagnent et suivent le vote de la loi, une fois celle-ci adoptée elle devient la norme qui informe la société tout entière.

Ce que la loi autorise de faire sur l'embryon

Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?
La loi du 29 juillet 1994 organise le recours aux procréations médicalement assistées. Sont autorisés et réglementés le recours à l’IAC (insémination artificielle par le conjoint), l’IAD (insémination artificielle avec donneur), la FIVETE (fécondation in vitro et transfert d’embryon). Ces pratiques sont réservées aux couples hétérosexuels, mariés ou en concubinage depuis deux ans, vivants et en âge de procréer.

Dans la fécondation in vitro, des embryons sont conçus dans un tube à essai et implantés, ensuite, dans le corps de la femme. Le prélèvement d’ovocytes étant très contraignant pour la femme, on en prélève en général plusieurs en même temps. Mais, les ovocytes ne se conservant pas, ils sont fécondés immédiatement. On obtient ainsi plus d’embryons que nécessaire pour la première tentative d’implantation.
Les embryons en surnombre, appelés embryons surnuméraires, sont congelés et conservés. Pour finir, la loi de 1994 interdit le recours aux mères porteuses et l’expérimentation sur l’embryon. Il n’est pas question à l’époque du clonage.

La loi du 6 août 2004 interdit et sanctionne pénalement le clonage tant reproductif que celui dit thérapeutique. La loi maintient l’interdiction de principe de la recherche sur l’embryon, mais prévoit des possibilités de dérogations, dans certaines conditions très strictes.

Des lois incohérentes

Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?
Certaines pratiques sont autorisées, d’autres interdites, ou autorisées à telle ou telle condition, sans qu’on comprenne bien ce qui justifie les solutions retenues. L’incohérence vient de ce que LA question centrale, dont tout découle, est toujours éludée : qu’est-ce qu’un embryon ?

Les conditions dans lesquelles la loi permet d’utiliser les embryons pour la recherche sont extrêmement rigoureuses : la recherche ne peut être conduite que sur les embryons conçus in vitro, dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, qui ne font plus l’objet d’un projet parental, avec le consentement écrit préalable du couple dont ils sont issus. Le protocole doit être autorisé par l’Agence de la biomédecine et les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent en interdire ou en suspendre la réalisation. Un chercheur ne peut donc utiliser des embryons pour ses recherches que de façon très limitée, et il n'est pas permis d'en concevoir in vitro à cette fin.

Or, de deux choses l'une : si l’embryon n’est pas une personne, les conditions encadrant et restreignant son utilisation sont absurdes, et entravent inutilement l’activité des chercheurs. En revanche, si l’embryon est une personne, toutes ces précautions, si exigeantes soient-elles, n’en sont pas moins absolument insuffisantes car, en définitive, les embryons concernés sont sacrifiés à la recherche. En effet, la recherche ne respecte pas l’intégrité de l’embryon puisque ce dernier est détruit et, de toute façon, la loi interdit l’implantation des embryons ayant fait l’objet d’une recherche,
c’est-à-dire ordonne leur destruction.

La loi ne traite donc l’embryon humain ni comme une chose (une non-personne), ni comme une personne. Pourquoi persister à ne pas dire ce qu’est un embryon ? Parce que dire que l’embryon est une personne, est conçu comme un choix, et un choix personnel, subjectif, c’est-à-dire un choix que chacun fait en conscience.

Or le législateur veut laisser chacun libre de faire ce choix. Le seul moyen de trouver une règle commune, sans trancher autoritairement, est de dégager un consensus sur le sujet. On voit la démarche : le débat bioéthique ne consiste pas à rechercher ce qu’est l’embryon, mais à chercher à se mettre d’accord sur ce qu’il est. Or, un tel consensus étant impossible à trouver, on renonce à
trancher la question.

Les législateurs, comme les juges, refusent de se prononcer

Le législateur affirme vouloir se cantonner dans son rôle, poser des règles concernant l’embryon, sans se prononcer sur son statut. Les nombreux rapports sont unanimes sur ce point : "Les conceptions éthiques antagonistes sur la nature de l’embryon, respectables en tant que choix individuels, ne seraient pas praticables en tant que choix de société […] La vraie question est de savoir comment l’embryon doit être traité."

Les juges se refusent eux aussi à trancher la question. La Cour d’appel de Paris, par exemple, déclare que "le juge n’a pas à statuer en dehors [du] cadre légal, qu’il sortirait manifestement de son rôle s’il le faisait, risquant ainsi de s’ériger en moraliste ou en philosophe, […)

Ne pas prendre parti est déjà une prise de position

Bioéthique : l'embryon est-il une personne ?
Pourtant, prétendre ne rien dire de la nature de l’embryon n'est pas possible car, s’il n’y a pas de réglementation, cela revient concrètement à approuver ce qui se fait et, s’il y a des règles, elles reflètent une prise de position implicitement établie dans la loi. Le ministre de la santé l’avait clairement dit : "cette loi reflètera notre conception de l’homme […] chacun admet que ce n’est pas à la loi de définir la vie. Il est indéniable pourtant que cette loi reflètera notre conception de l’homme."

C’est pourquoi faire semblant de ne pas prendre parti sur la nature de l’embryon est en fait une prise de position, à ceci près qu’elle se passe de justification : "Nous n’aborderons pas ici le débat sur le statut de l’embryon humain, car, nous le savons, trop de divergences philosophiques [vous] séparent […] Nous en resterons à la définition de potentialité de personne."6

Outre que le postulat (il est impossible de savoir ce qu’est l’homme, ou ce qu’est l’embryon...) est largement contestable, ceci permet, tout en refusant d’emblée le débat (il est impossible de... nous n’aborderons pas...), de le trancher...sans débattre (ce sera donc cela) !

Quant aux juges, ils doivent trancher les affaires qui leur sont soumises et chaque décision exprime une prise de position. La cour qui doit décider si le chauffard qui a blessé une femme enceinte et tué l’enfant qu’elle portait est coupable d’homicide par imprudence de blessures involontaires sur la personne de la mère, ne peut éviter de se prononcer sur la nature du foetus. A chaque fois qu’un juge applique ou écarte un texte visant l’être humain ou la personne humaine, il qualifie l’être concerné. Finalement, l’embryon est qualifié de personne devant telle juridiction mais non devant telle autre.
Quant à la Cour de cassation, tantôt elle applique le droit des personnes à l’enfant à naître, tantôt elle refuse de le faire !

Définir ce qu'est un embryon

Ne serait-il pas absurde de prétendre décider de la qualité de personne de mon voisin de palier, ou de telle ou telle catégorie d’êtres humains ? Dès lors qu’il s’agit de l’embryon, pourquoi admet-on sans sourciller qu’il faut décider s’il est une personne ou non ? Parce que le terme de personne est ambigu. Il désigne deux qualités, bien distinctes :
- la qualité de personne humaine, d’être humain, de spécimen biologique de l’espèce humaine
- la personnalité juridique, qui est une qualité attribuée aux individus, ou aux groupes d’individus (sociétés commerciales, collectivités territoriales) et qui leur donne la capacité juridique.

La qualité de personne humaine est une qualité intrinsèque aux individus. Un être est une personne humaine en raison de sa nature, et non parce qu’on lui attribue ou lui reconnaît cette qualité.
En revanche, la personnalité juridique est une qualité attribuée.

Le droit l’attribue aujourd’hui à tout être humain né vivant et viable, mais notre système juridique a connu deux catégories de personnes humaines, déjà nées, dépourvues de la personnalité juridique : les esclaves et les personnes frappées de mort civile (la mort civile était une sanction pénale consistant à retirer au condamné sa personnalité juridique). L’emploi imprécis du terme de personne conduit à appliquer le régime de la personnalité juridique, qui est un régime d’attribution, dans un domaine où seule la personnalité humaine est en cause. Cela conduit ainsi à proposer d’attribuer, ou de refuser, la qualité de personne à l’embryon.

Etre une personne ne se réduit pas à avoir ou non la personnalité juridique

L’embryon n’a pas la personnalité juridique, mais être une personne ne se réduit pas à avoir ou non la personnalité juridique, et ceci est vrai même pour le droit. Une personne humaine, dépourvue de la personnalité juridique, n’en appartient pas moins à la classe des personnes, comme ce fut le cas des esclaves. La loi du 24 avril 1833 désignait les esclaves sous le terme de "personnes non
libres". La Chambre criminelle, dans un arrêt du 8 février 1839, a explicitement dit que cette loi "a formellement rangé les esclaves dans la classe des personnes, et leur [a] reconnu un état civil".

En dépit de la confusion qui caractérise la jurisprudence, la Cour de cassation applique, dans certains cas, le droit des personnes à l’enfant à naître, manifestant cette évidence que, même aujourd’hui, la personnalité juridique n’est pas le tout, ni même le plus important, de la personnalité.

D’ailleurs, le fait d’être une personne est d’une autre portée pour un être humain que pour une société commerciale ou une collectivité territoriale, ce qui révèle bien que la personnalité juridique n’est pas seule en cause. Le droit des personnes ne concerne pas seulement l’individu dans ses prérogatives de sujet de droit mais, avant tout, en tant qu’être humain, personne humaine.

Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé

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