Polina à 18 ans et Grozny en guerre. (Photos : Books Editions, Mikhail Evstafiev / Wikimedia)
"Au printemps j'aurais 15 ans si je suis encore en vie", écrit Polina en 1999 dans son journal intime. Voilà ce qu'est la vie quand on a 15 ans à Grozny, la capitale de la Tchétchénie, et que s'ouvre le sanglant conflit russo-tchétchène (1999-2009) ! Une "adolescence tchéchène", c'est une vie sous les bombes, une survie quotidienne pour échapper au froid, à la faim, aux tirs d'obus. La vie que Polina Jerebstova décrit jour après jour dans ce journal aujourd'hui publié dans plusieurs pays (Le Journal de Polina, une adolescence tchétchène, Books Editions / France Culture).
"Les combats font rage ! Un feu d'artifice mortel. Des lingots incandescents rouge sang se détachent sur le fond gris du ciel. Les obus sont blancs et orange. Les balles «dorées» scintillent. Il y en a pour tous les goûts !" décrit Polina dans ce journal qui lui sert de confident. "J'ai pu rester saine d'esprit car je pouvais coucher sur papier ce que je vivais, explique aujourd'hui la jeune femme. Mais mon rêve, c'était de penser des gens pourraient un jour me lire et savoir que la guerre est une chose horrible".
Pour en témoigner, il lui suffit de dire les détails de ce quotidien arraché au chaos. Durant des mois, Polina vit terrée avec sa maman dans leur appartement. Les bombes ont soufflé les carreaux des fenêtres, laissé des trous béants dans les murs et les toits. Son père a disparu, comme beaucoup d'hommes tchétchènes partis au combat. Restent les femmes, les enfants, les adolescents et les personnes âgées. Elle dit le quotidien de cette population civile martyrisée. Qui s'est soucié en Occident de cette guerre de Tchétchénie ?
"Les combats font rage ! Un feu d'artifice mortel. Des lingots incandescents rouge sang se détachent sur le fond gris du ciel. Les obus sont blancs et orange. Les balles «dorées» scintillent. Il y en a pour tous les goûts !" décrit Polina dans ce journal qui lui sert de confident. "J'ai pu rester saine d'esprit car je pouvais coucher sur papier ce que je vivais, explique aujourd'hui la jeune femme. Mais mon rêve, c'était de penser des gens pourraient un jour me lire et savoir que la guerre est une chose horrible".
Toute ma vie d'adolescente s'est passée pendant la guerre
et mon monde c'était cette guerre.
et mon monde c'était cette guerre.
Pour en témoigner, il lui suffit de dire les détails de ce quotidien arraché au chaos. Durant des mois, Polina vit terrée avec sa maman dans leur appartement. Les bombes ont soufflé les carreaux des fenêtres, laissé des trous béants dans les murs et les toits. Son père a disparu, comme beaucoup d'hommes tchétchènes partis au combat. Restent les femmes, les enfants, les adolescents et les personnes âgées. Elle dit le quotidien de cette population civile martyrisée. Qui s'est soucié en Occident de cette guerre de Tchétchénie ?
Seize éclats d'obus lui lacèrent les jambes
Sa carte d'identité et sa photo à 14 ans, l'âge où elle est blessée gravement.
Un jour, le 12 novembre 1999, elle part avec sa mère au petit marché où elles espèrent acheter des pommes de terre et trouver du pain. "Et là, les bombardements ont commencé !", raconte la jeune fille. Polina et sa mère se réfugient dans une cour d'immeuble. "Sous nos yeux, les vitres, puis les fenêtres, les chambranles ont volé en éclats dans la rue. Un trou béant s'est ouvert. Deux lits, larges et hauts, nous ont foncé dessus ! Une fumée blanche, pareille à de la vapeur ou du brouillard, s'est engouffrée par la fenêtre. On y voyait mal. On étouffait.".
Un avion largue une bombe, Polina et sa maman fuient mais seize éclats d'obus lacèrent les jambes de la jeune fille. "La douleur était infernale, lit-on dans son Journal. Sous le hurlement des avions, nous avons filé dans la cour que nous connaissions par coeur, où se trouvait une petite cave. Quelque part, des tirs de mitraillette crépitaient; les avions dans le ciel étaient sûrement dans leur ligne de mire. La cave était fermée ! Un énorme verrou était accroché à la porte ! Alors, tous les quatre, nous nous sommes précipités vers le jardin d'enfants en brique rouge. Je suis tombée par terre, terrassée par ma terrible douleur à la jambe, et on m'a traînée par la capuche. Réfugiés dans le jardin d'enfants, nous avons laissé passer plusieurs bombes.
[...] En traversant la cour, nous avons aperçu notre petite grand-mère à une fenêtre du premier étage. Elle nous a fait un signe de la main. Une partie du mur et du toit de son immeuble avait disparu."
Un avion largue une bombe, Polina et sa maman fuient mais seize éclats d'obus lacèrent les jambes de la jeune fille. "La douleur était infernale, lit-on dans son Journal. Sous le hurlement des avions, nous avons filé dans la cour que nous connaissions par coeur, où se trouvait une petite cave. Quelque part, des tirs de mitraillette crépitaient; les avions dans le ciel étaient sûrement dans leur ligne de mire. La cave était fermée ! Un énorme verrou était accroché à la porte ! Alors, tous les quatre, nous nous sommes précipités vers le jardin d'enfants en brique rouge. Je suis tombée par terre, terrassée par ma terrible douleur à la jambe, et on m'a traînée par la capuche. Réfugiés dans le jardin d'enfants, nous avons laissé passer plusieurs bombes.
[...] En traversant la cour, nous avons aperçu notre petite grand-mère à une fenêtre du premier étage. Elle nous a fait un signe de la main. Une partie du mur et du toit de son immeuble avait disparu."
Plusieurs fois entre la vie et la mort, elle bénit sa chance
A ces moments terribles succèdent des temps où la vie reprend son cours. Polina se dispute avec sa mère, elle tombe amoureuse, elle rêve et elle écrit. Mais tout est difficile. "Tous les jours, nous mangeons des morceaux de pâte bouillie que nous saupoudrons d’oignon haché. J'ai mal au ventre et au côté droit aussi. Une fois par jour, nous faisons cuire un chausson. Sans beurre (il n'y en a pas). Recette : bicarbonate de soude, eau à base de neige fondue, farine".
Le danger, surtout, n'est jamais loin : "Je sentais constamment l'odeur de la mort, elle sent le métal", se souvient encore Polina. La guerre lui fait acquérir des réflexes de survie : "On devient très observateur, très ponctuel pour se cacher à temps, pour échapper à un éclat d'obus". Et puis, il y a la chance : "J'ai été plusieurs fois entre la vie et la mort et je considère que j'ai eu une chance extraordinaire. Lorsque ce missile est tombé du ciel sur ce marché, j'ai reçu des éclats d'obus dans les jambes qui m'ont sectionné plusieurs veines, mais en face de moi une jeune fille a péri dans d'atroces souffrances".
Elle raconte aussi comment elle échappe par miracle à la mort alors que des soldats russes menacent de la fusiller avec un groupe de civils. "Mais vous ne voyez pas que ce ne sont que des femmes et des enfants !", s'écrie une vieille femme à genoux. Polina fait le voeu de se teindre en blonde si elle en réchappe. Sa blondeur d'aujourd'hui n'est donc pas anodine. Tout son corps porte d'ailleurs les traces douloureuses de ces dix ans d'épreuves, mais qu'importe puisqu'elle peut aujourd'hui raconter.
Le danger, surtout, n'est jamais loin : "Je sentais constamment l'odeur de la mort, elle sent le métal", se souvient encore Polina. La guerre lui fait acquérir des réflexes de survie : "On devient très observateur, très ponctuel pour se cacher à temps, pour échapper à un éclat d'obus". Et puis, il y a la chance : "J'ai été plusieurs fois entre la vie et la mort et je considère que j'ai eu une chance extraordinaire. Lorsque ce missile est tombé du ciel sur ce marché, j'ai reçu des éclats d'obus dans les jambes qui m'ont sectionné plusieurs veines, mais en face de moi une jeune fille a péri dans d'atroces souffrances".
Je sentais constamment l'odeur de la mort
Elle raconte aussi comment elle échappe par miracle à la mort alors que des soldats russes menacent de la fusiller avec un groupe de civils. "Mais vous ne voyez pas que ce ne sont que des femmes et des enfants !", s'écrie une vieille femme à genoux. Polina fait le voeu de se teindre en blonde si elle en réchappe. Sa blondeur d'aujourd'hui n'est donc pas anodine. Tout son corps porte d'ailleurs les traces douloureuses de ces dix ans d'épreuves, mais qu'importe puisqu'elle peut aujourd'hui raconter.
Alexandre Soljénitsyne lui-même lit le Journal de Polina
Sa chance passe aussi par son talent d'écrivain. Elle envoie son journal à la Fondation Soljénitsyne, et le grand Alexandre Soljénitsyne (l'écrivain qui a dénoncé le goulag de l'ère soviétique) est touché. En 2006, sa fondation fait venir Polina et sa mère à Moscou.
Polina fait de petits jobs, elle écrit des articles sur les droits de l'Homme. Et en 2011, le Journal de Polina est publié en Russie ! Le témoignage fait l'effet d'une bombe. Pour certains, c'est la vérité sur les atrocités commises en Tchétchénie qui éclate, pour d'autres, le scandale. Car Polina n'a pas manqué d'audace en dédicaçant son livre aux dirigeants russes. Du coup on la taxe d'anti-patriotisme, on l'accuse de mensonge, on la menace...
En 2012, Polina doit fuir la Russie pour échapper, encore, à la violence. Elle s'exile en Finlande où elle vit avec son mari et continue à porter témoignage. La sortie de son livre en France, fin septembre 2013, est l'occasion d'une tournée où la jeune femme de 28 ans, continue de porter témoignage.
Polina au micro et dans le studio de France Culture en septembre 2013
Polina fait de petits jobs, elle écrit des articles sur les droits de l'Homme. Et en 2011, le Journal de Polina est publié en Russie ! Le témoignage fait l'effet d'une bombe. Pour certains, c'est la vérité sur les atrocités commises en Tchétchénie qui éclate, pour d'autres, le scandale. Car Polina n'a pas manqué d'audace en dédicaçant son livre aux dirigeants russes. Du coup on la taxe d'anti-patriotisme, on l'accuse de mensonge, on la menace...
En 2012, Polina doit fuir la Russie pour échapper, encore, à la violence. Elle s'exile en Finlande où elle vit avec son mari et continue à porter témoignage. La sortie de son livre en France, fin septembre 2013, est l'occasion d'une tournée où la jeune femme de 28 ans, continue de porter témoignage.
Polina au micro et dans le studio de France Culture en septembre 2013
Son propos et son combat n'ont pourtant rien de nationalistes. Qui s'est battu contre qui et pourquoi en Tchétchénie ? Certes, l'armée russe a bien déversé des déluges de bombes sur cette république du Caucase qui voulait son autonomie. Mais Polina récuse la vision manichéenne qui opposerait les méchants Russes aux gentils Tchétchènes.
Sa propre mère n'est-elle pas russe et son père tchétchène ? "Moi, explique-t-elle, je viens d'une famille multiculturelle, je n'appartiens à n'aucun camp, je suis bi... Avant, Grozni était d'ailleurs une ville multi-ethnique et il y avait beaucoup de mariages entre russes et tchétchènes."
Ce qu'elle a voulu dénoncer, c'est l'horreur d'une guerre aveugle qui a déversé un déluge de bombes sur des civils, russes ou tchétchènes. Elle évoque par exemple son grand-père, un Russe qui avait combattu durant la Seconde Guerre mondiale; "Il est mort durant un bombardement, alors qu'il était à l'hôpital de Grozny. Il avait échappé aux nazis et il est mort sous les bombes russes."
"Il y a bien eu des atrocités déclenchées par une haine ethnique contre les tchétchènes, reconnaît Polina, mais ensuite des groupes criminels se sont attaqués à des Russes pour piller leur apartement et il y a eu une guerre civile même à l'intérieur de la Tchétchénie".
C'est la guerre elle-même qu'elle veut combattre, ses crimes contre les civils, ses armes de mort comme ces bombes à fragmentation dont les éclats se déplacent dans le corps des victimes en provoquant d'atroces douleurs. A travers son "adolescence en Tchétchénie", elle porte témoignage pour ces vies broyées et toujours, la cruelle absurdité de la violence.
De quoi motiver tous les combats pour la paix et le dialogue entre les peuples.
Sa propre mère n'est-elle pas russe et son père tchétchène ? "Moi, explique-t-elle, je viens d'une famille multiculturelle, je n'appartiens à n'aucun camp, je suis bi... Avant, Grozni était d'ailleurs une ville multi-ethnique et il y avait beaucoup de mariages entre russes et tchétchènes."
"Je n'appartiens à aucun camp, je suis bi"
Ce qu'elle a voulu dénoncer, c'est l'horreur d'une guerre aveugle qui a déversé un déluge de bombes sur des civils, russes ou tchétchènes. Elle évoque par exemple son grand-père, un Russe qui avait combattu durant la Seconde Guerre mondiale; "Il est mort durant un bombardement, alors qu'il était à l'hôpital de Grozny. Il avait échappé aux nazis et il est mort sous les bombes russes."
"Il y a bien eu des atrocités déclenchées par une haine ethnique contre les tchétchènes, reconnaît Polina, mais ensuite des groupes criminels se sont attaqués à des Russes pour piller leur apartement et il y a eu une guerre civile même à l'intérieur de la Tchétchénie".
C'est la guerre elle-même qu'elle veut combattre, ses crimes contre les civils, ses armes de mort comme ces bombes à fragmentation dont les éclats se déplacent dans le corps des victimes en provoquant d'atroces douleurs. A travers son "adolescence en Tchétchénie", elle porte témoignage pour ces vies broyées et toujours, la cruelle absurdité de la violence.
De quoi motiver tous les combats pour la paix et le dialogue entre les peuples.