Dans le métro, sur les murs, des affiches montrent Marc Lavoine un chimpanzé dans les bras, les yeux levés vers le ciel... pour promouvoir son album intitulé "Je descends du singe". Au cinéma, le film documentaire de Walt Disney Nature Chimpanzés met en scène Oscar, un jeune chimpanzé mâle : "Comme nous il est joueur… Comme nous il aime sa famille… Comme nous il apprend vite… ", martèle la bande-annonce. Comme nous.
On le voit, la troublante similitude entre l'homme et les grands singes continue de fasciner. Pourquoi ? Parce qu'en posant la question de l'existence ou non d'une différence entre l'homme et l'animal, elle touche une question plus profonde encore : y a-t-il un propre de l’homme ? et si oui, quel est-il ?
On le voit, la troublante similitude entre l'homme et les grands singes continue de fasciner. Pourquoi ? Parce qu'en posant la question de l'existence ou non d'une différence entre l'homme et l'animal, elle touche une question plus profonde encore : y a-t-il un propre de l’homme ? et si oui, quel est-il ?
La réponse des sciences de la nature
Au risque de vexer Marc Lavoine, il faut commencer par dissiper un malentendu : nous ne "descendons" pas du singe ! Cette formule, passée dans le langage commun – jusque dans les blagues comme "L'homme descend du singe… et le singe descend de l’arbre !" – a le don d'agacer le paléoanthropologue Pascal Picq. "L'homme ne descend pas du singe ! Il a des ancêtres communs avec lui, c'est très différent !"
La primatologie (étude des grands singes), qui s'est développée après la seconde guerre mondiale, a donné lieu à plusieurs découvertes capitales à partir des années 1970. Par exemple, Jane Goodall a découvert que les chimpanzés de Tanzanie utilisaient des outils ; Diane Fossey, que les relations sociales chez les gorilles du Rwanda étaient très élaborées ; Gordon Gallup, que les grands singes se reconnaissaient dans un miroir. Trente ans plus tard, les généticiens ont révélé que 99% de notre ADN est identique à celui du chimpanzé.
La primatologie (étude des grands singes), qui s'est développée après la seconde guerre mondiale, a donné lieu à plusieurs découvertes capitales à partir des années 1970. Par exemple, Jane Goodall a découvert que les chimpanzés de Tanzanie utilisaient des outils ; Diane Fossey, que les relations sociales chez les gorilles du Rwanda étaient très élaborées ; Gordon Gallup, que les grands singes se reconnaissaient dans un miroir. Trente ans plus tard, les généticiens ont révélé que 99% de notre ADN est identique à celui du chimpanzé.
Des animaux qui marchent, pleurent, partagent, compatissent...
Photo du film ''Chimpanzés'', copyright : Walt Disney
L'éthologie (l'étude du comportement animal) a montré elle aussi que certaines caractéristiques réputées propres à l'homme étaient en réalité partagées par les primates. La philosophe Vinciane Despret explique par exemple qu'un singe est capable de tromper intentionnellement ses congénères : pour détourner leur attention et leur réprobation – il vient de maltraiter un petit – il les avertit qu'un prédateur fictif approche, sachant pertinemment que de l'endroit où ils sont, ils ne peuvent constater que c’est faux. Au 19ème siècle déjà, Darwin avait postulé l’existence du sens moral chez les primates en constatant par exemple qu'un singe à qui l'on interdisait de manger une orange la mangeait quand même, mais prenait la précaution de cacher les épluchures, comme s'il éprouvait un sentiment de honte…
Pascal Picq dresse une liste impressionnante des similitudes ainsi constatées entre l’homme et les grands singes : "La marche debout, l'outil, le rire, les pleurs, la coopération, l'empathie, le bien et le mal, le tabou de l'inceste, la chasse, le partage de la viande, la culture, les traditions, la communication symbolique, la politique : ces caractéristiques que l'on croyait humaines sont présentes chez les grands singes."
Au point que la plupart des scientifiques spécialisés sur le sujet en sont venus à rejeter l'existence d'une différence de nature entre l’homme et le grand singe. Pour eux, il ne s'agit que d’une différence de degré. L'être de l'homme ne serait pas différent de celui de l'animal.
Pascal Picq dresse une liste impressionnante des similitudes ainsi constatées entre l’homme et les grands singes : "La marche debout, l'outil, le rire, les pleurs, la coopération, l'empathie, le bien et le mal, le tabou de l'inceste, la chasse, le partage de la viande, la culture, les traditions, la communication symbolique, la politique : ces caractéristiques que l'on croyait humaines sont présentes chez les grands singes."
Au point que la plupart des scientifiques spécialisés sur le sujet en sont venus à rejeter l'existence d'une différence de nature entre l’homme et le grand singe. Pour eux, il ne s'agit que d’une différence de degré. L'être de l'homme ne serait pas différent de celui de l'animal.
L'anti-spécisme : pour une égale dignité des animaux et des hommes
Il n'y aurait donc aucun propre de l’homme ? Pour Pascal Picq, si, et il serait lié au langage : "Finalement, il y a sans doute un seul vrai "propre de l'homme", c'est le récit : cette nécessité ontologique de construire des cosmogonies, des récits sur les commencements du monde." Mais cela ne signifie pas que la dignité des humains soit supérieure à celle des animaux.
S'appuyant sur cette conviction, l'antispécisme, un mouvement né dans les années 1970, dénonce la hiérarchisation des êtres vivants en espèces inégales, et l'exploitation des espèces animales par l'espèce humaine, auto-décrétée supérieure aux autres. Elle milite pour la reconnaissance et le respect de l'égale dignité des animaux par rapport aux hommes. Sur le modèle de l’antisexisme et de l'antiracisme, l'antispécisme réclame l'extension du principe d'égalité aux animaux, en particulier le respect de leur droit à ne pas souffrir.
Dans son livre La libération animale, le philosophe australien Peter Singer, l'une des figures de proue de ce courant, écrit ainsi : "Je soutiens qu'il ne peut y avoir aucune raison – hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur – de refuser d'étendre le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces."
S'appuyant sur cette conviction, l'antispécisme, un mouvement né dans les années 1970, dénonce la hiérarchisation des êtres vivants en espèces inégales, et l'exploitation des espèces animales par l'espèce humaine, auto-décrétée supérieure aux autres. Elle milite pour la reconnaissance et le respect de l'égale dignité des animaux par rapport aux hommes. Sur le modèle de l’antisexisme et de l'antiracisme, l'antispécisme réclame l'extension du principe d'égalité aux animaux, en particulier le respect de leur droit à ne pas souffrir.
Dans son livre La libération animale, le philosophe australien Peter Singer, l'une des figures de proue de ce courant, écrit ainsi : "Je soutiens qu'il ne peut y avoir aucune raison – hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur – de refuser d'étendre le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces."
La réponse des philosophes
Cette question n'est pas seulement du ressort des sciences de la nature. Elle concerne également les philosophes qui ont cherché à y répondre.
- Pour Descartes, l'animal est un corps sans esprit, comparable à une machine. A la différence de l'homme, l'animal est absolument incapable de dire : "Je pense donc je suis." La pensée, exprimée par le langage, manque à l'animal. En cela, l'animal est non seulement différent, mais inférieur à l’homme. Le propre de l’homme, c'est d’être un être pensant.
- Kant, lui, distingue l’homme de l'animal par la morale. L'homme est un être moral par essence en tant qu'il est doué de conscience, de raison et d'une volonté autonome qui lui permet d’exercer une liberté. L'homme agit en déterminant lui-même la loi de son action. La moralité suppose la liberté. Or l'animal, lui, est déterminé dans son agir par des causes étrangères (l’instinct, la nécessité). De ce fait il n'est pas libre, donc pas moral, donc différent de l’homme et inférieur à lui. Le propre de l’homme, c’est d’être un être moral.
- Un troisième philosophe, Bergson intégre les apports du darwinisme. Ce qui provoque l'évolution, c'est "l'élan vital" : une poussée d'énergie qui conduit les différences espèces vivantes à se différencier. Chez l'homme, le critère de différenciation est la conscience de soi. Le propre de l’homme, c'est d’être un être conscient.
L'homme sait qu'il sent
Mais qu'est-ce que la conscience ? Un premier niveau consiste, pour un être, à sentir qu'il sent. C'est la conscience sensible. Elle ne vient pas des sens externes, car les sens externes (par exemple la vue) ne sont pas capables de retour sur leur opération. Il est évident que la conscience sensible n'est pas propre à l'homme seul. Les animaux vertébrés ont eux aussi une forme de conscience sensible. Par exemple, un chien sent qu'il se brûle. Il y a chez l’animal une faculté estimative, c’est-à-dire une capacité naturelle à se porter vers l'agréable et à fuir le désagréable. L'animal est doté d’une conscience sensible.
Mais il existe un second niveau de conscience, propre à l'homme celui-là : non seulement l'homme sent qu’il sent, mais il sait qu'il sent. Chez lui, la conscience sensible se double d’une conscience réfléchie qui lui fait connaître qu'il connaît.
Il y a donc chez l'homme un double niveau de conscience. J'ai conscience que c'est toujours le même "je" (le mien) qui pose l’action ; or, pour nommer ce sujet de l'action, ce "je", il faut que je le connaisse. Je suis donc à la fois celui qui agis et qui connais celui qui agit. Il y a une réflexivité en nous qui nous permet la prise de conscience. C'est le signe qu'e l'homme possède non seulement la vie végétative (comme les végétaux il assimile les aliments en vue de sa conservation et de sa croissance), non seulement la vie animale (comme les animaux il prend connaissance de la réalité qui l’entoure par ses facultés sensitives), mais encore une vie intellective.
Mais il existe un second niveau de conscience, propre à l'homme celui-là : non seulement l'homme sent qu’il sent, mais il sait qu'il sent. Chez lui, la conscience sensible se double d’une conscience réfléchie qui lui fait connaître qu'il connaît.
Il y a donc chez l'homme un double niveau de conscience. J'ai conscience que c'est toujours le même "je" (le mien) qui pose l’action ; or, pour nommer ce sujet de l'action, ce "je", il faut que je le connaisse. Je suis donc à la fois celui qui agis et qui connais celui qui agit. Il y a une réflexivité en nous qui nous permet la prise de conscience. C'est le signe qu'e l'homme possède non seulement la vie végétative (comme les végétaux il assimile les aliments en vue de sa conservation et de sa croissance), non seulement la vie animale (comme les animaux il prend connaissance de la réalité qui l’entoure par ses facultés sensitives), mais encore une vie intellective.
L'homme se pose des questions sur lui-même
Cette capacité de l'homme à réfléchir sur ses propres actes, à être conscient de lui-même, provient d'une disposition qu'il est le seul à posséder : l'intelligence, au sens propre de "intus legere" ce qui signifie "lire à l'intérieur". L'homme a la capacité de lire à l'intérieur des choses, d'en rechercher le sens et la vérité au moyen de son intelligence. Celle-ci lui apporte la réalité même de la chose dont il saisit l’essence à partir de ses sens. Mais contrairement aux sens, l'intelligence, lorsqu'elle fait l’expérience d'une chose, se pose une question : "pourquoi ?"
A la différence de l'animal, l'homme s'étonne de ce qui est. Il va jusqu'à s'étonner de lui-même, jusqu'à se poser des questions sur sa condition, des questions existentielles : "Pourquoi suis-je ? Quel est le sens de ma condition ? D'où viens-je et où vais-je ?", etc. Seul l'homme peut se demander ce qui fait le propre de l'homme par rapport à l'animal ! Et là, sans doute, réside sa "différence".
A la différence de l'animal, l'homme s'étonne de ce qui est. Il va jusqu'à s'étonner de lui-même, jusqu'à se poser des questions sur sa condition, des questions existentielles : "Pourquoi suis-je ? Quel est le sens de ma condition ? D'où viens-je et où vais-je ?", etc. Seul l'homme peut se demander ce qui fait le propre de l'homme par rapport à l'animal ! Et là, sans doute, réside sa "différence".