Pour ceux qui ne l'auraient jamais vue à la télévision ou entendu à la radio, il faut brosser un portrait de cette figure hors du commun, devenue célèbre pour son action auprès des chiffonniers du Caire. C'était une petite vieille débordante d'énergie, droite comme un i, vêtue d'une éternelle robe tablier grise et d'un simple fichu. Un visage ridé sans doute, mais éclairé par la lumière d'un regard bleu et pétillant. Et quand elle prenait la parole, la voix aiguë qui s'élevait avait la force et l'autorité incroyables de ceux qui ont vraiment quelque chose à dire. Son message était simple et elle avait l'art de le porter partout auprès de tous : "Si tu veux vivre, tu dois aimer!".
Son père se noit sous ses yeux lorsqu'elle a 6 ans
Pas difficile de retracer sa vie puisqu'elle venait de nous laisser son "testament" dans un dernier livre d'entretiens : "J'ai 100 ans et je voudrais vous dire" (Plon). Née en Belgique en 1908, elle avait passé sa jeunesse dans un milieu aisé mais n'avait pourtant pas été épargnée par les épreuves. "Je n'avais pas 6 ans, a-t-elle raconté dans ce livre, quand mon père s'est noyé sous mes yeux. Il poussait sa barque, au bord de la mer, il faisait très beau, le ciel était d'un de ces bleus pâles et fragiles comme on en voit sur la mer du Nord. Et soudain, la vague, l'imprévu, le drame. J'ai beaucoup pleuré ensuite. Longtemps."
Est-ce pour cela qu'à l'âge de 20 ans, elle choisit de devenir religieuse ? "Je ne le crois pas", répondait-elle en expliquant : "Je me disais, plus ou moins clairement : "Qu'est-ce que je vais faire, accrochée à un homme, toute ma vie ? Je connaîtrai peut-être des déceptions..."
Est-ce pour cela qu'à l'âge de 20 ans, elle choisit de devenir religieuse ? "Je ne le crois pas", répondait-elle en expliquant : "Je me disais, plus ou moins clairement : "Qu'est-ce que je vais faire, accrochée à un homme, toute ma vie ? Je connaîtrai peut-être des déceptions..."
''J'aimais danser, m'amuser, voir des films...''
N'imaginons pas cependant une fille sage et recluse. Elle est adolescente dans le monde des années 1920, les "années folles", et aime beaucoup sortir ce qui la rend encore plus proche de nous malgré le temps : "Je ne pensais qu'à m'amuser, danser, voir des films, aller au théâtre". La vie bouillonne en elle et c'est parce qu'elle cherche l'amour, le grand amour, qu'elle sent monter cet appel, cette vocation : "J'ai voulu, moi, m'appuyer sur ce qui ne me trompera jamais. Jamais ! j'ai choisi Dieu. [...] Je voulais l'Absolu. Et sur terre, l'homme, quel qu'il soit, ne peut pas vous apporter l'Absolu."
Elle rentre donc dans la congrégation Notre-Dame de Sion et dans les années 1930, part en Turquie, puis en Tunisie. Pourtant ce n'est pas encore là qu'elle se consacre aux plus démunis, elle enseigne et donne des cours à des jeunes filles de la haute société. Puis elle est nommée à Alexandrie en Egypte.
Elle rentre donc dans la congrégation Notre-Dame de Sion et dans les années 1930, part en Turquie, puis en Tunisie. Pourtant ce n'est pas encore là qu'elle se consacre aux plus démunis, elle enseigne et donne des cours à des jeunes filles de la haute société. Puis elle est nommée à Alexandrie en Egypte.
A l'âge de la retraite, elle va vivre dans un bidonville du Caire
C'est sur les bords du Nil, au Caire, en 1971, alors que l'âge de la retraite devrait sonner pour elle, que sa vie connaît un nouveau tournant. Elle décide de s'installer dans un bidonville sordide où hommes, femmes et enfants survivent en arrachant à une décharge quelques chiffons.
Elle raconte à nouveau dans son dernier livre son arrivée et ses premiers moments avec les chiffonniers : "Le soir de mon arrivée, j'ai posé mes quelques affaires dans une cabane que m'avait donnée un chiffonnier [...] et je me suis interrogée : que faire ? [...] Bon, j'étais venue, et je n'allais pas reculer. D'autant que j'avais pris le Christ avec moi et prié. Alors, je suis sortie pour aller jusqu'à la plus proche cabane. Dans ce coin, elles étaient très serrées les unes contre les autres. Un homme était assis par terre - bien sûr, il n'y avait pas de chaises - et c'était le soir, après le travail ; il tentait d'échapper à la chaleur de l'intérieur. Je lui ai tendu la main, en me penchant un peu vers lui, et je lui ai simplement demandé [...] comment il allait. Il m'a aussitôt tendu la main, lui aussi. On s'est serré les mains et j'ai compris qu'il fallait m'asseoir près de lui. Alors : "Veux-tu un verre de thé ?" J'ai accepté avec joie. Le thé est arrivé, des voisins aussi. On a fait le cercle, tous assis par terre."
Elle raconte à nouveau dans son dernier livre son arrivée et ses premiers moments avec les chiffonniers : "Le soir de mon arrivée, j'ai posé mes quelques affaires dans une cabane que m'avait donnée un chiffonnier [...] et je me suis interrogée : que faire ? [...] Bon, j'étais venue, et je n'allais pas reculer. D'autant que j'avais pris le Christ avec moi et prié. Alors, je suis sortie pour aller jusqu'à la plus proche cabane. Dans ce coin, elles étaient très serrées les unes contre les autres. Un homme était assis par terre - bien sûr, il n'y avait pas de chaises - et c'était le soir, après le travail ; il tentait d'échapper à la chaleur de l'intérieur. Je lui ai tendu la main, en me penchant un peu vers lui, et je lui ai simplement demandé [...] comment il allait. Il m'a aussitôt tendu la main, lui aussi. On s'est serré les mains et j'ai compris qu'il fallait m'asseoir près de lui. Alors : "Veux-tu un verre de thé ?" J'ai accepté avec joie. Le thé est arrivé, des voisins aussi. On a fait le cercle, tous assis par terre."
Plongée dans la misère matérielle, elle éprouve une joie qu'elle n'a jamais connu
Pendant des années, elle vit là et se démène pour ses chiffonniers : elle aide à soigner, à nourrir, s'occupe des enfants avec une énergie débordante. Pour faire plus pour eux, elle monte son association, ASMAé, prénom d'une petite fille, et écrit son premier livre. Elle récolte des fonds pour construire écoles et dispensaires. "Ce qui m'a étonné, ce fut de me retrouver ainsi, la soixantaine passée, dans un monde que j'avais ignoré, dont je ne parlais pas très bien la langue, plongée dans cette misère matérielle, et d'éprouver malgré tout un sentiment de joie comme je n'en avais jamais connu. J'avais atteint mon but".
Elle vit ainsi durant 20 ans, et ne rentre en France qu'à 82 ans. Enfin la retraite ? Pas vraiment. Elle multiplie les conférences pour récolter de l'argent et faire connaître le sort de "ses" chiffonniers. Son franc-parler, son énergie, sa joie touchent un public immense. D'autant que la soeur n'hésite pas à courir les plateaux télé ce qui en fait l'une des personnalités les plus aimées des Français.
Elle vit ainsi durant 20 ans, et ne rentre en France qu'à 82 ans. Enfin la retraite ? Pas vraiment. Elle multiplie les conférences pour récolter de l'argent et faire connaître le sort de "ses" chiffonniers. Son franc-parler, son énergie, sa joie touchent un public immense. D'autant que la soeur n'hésite pas à courir les plateaux télé ce qui en fait l'une des personnalités les plus aimées des Français.
Le secret de sa joie...
Jusqu'à son dernier souffle, elle aura voulu partager ses leçons de vie, son invitation à la solidarité envers tout homme, son appel à une religion fraternelle, à la joie, au don de soi. Jusqu'au bout, malgré la fatigue des ans qui l'avait amenée dans une maison de retraite du Var, elle gardait le souci des plus démunis et n'hésitait pas à rendre visite à la communauté Emmaüs la plus proche.
Le secret de sa joie, elle le puisait sans doute dans sa foi chrétienne, et dans sa vie entièrement donnée aux autres.: "Dans les bidonvilles où j'ai vécu - je vais employer un mot un peu vulgaire, mais tant pis - on "rigolait", racontait-elle. Pas toujours, bien sûr [...]. Mais la joie régnait, une joie profonde, qui tenait à la solidarité." Par delà la mort elle continue de nous délivrer son message : "J'ai pensé à vivre d'amour, et je crois en effet que l'amour est éternel. Plus fort que la mort. La mort attaque tout ce qui est matériel. Mais tout ce qui est don, ce qui est gratuit, ne peut pas mourir."
Le secret de sa joie, elle le puisait sans doute dans sa foi chrétienne, et dans sa vie entièrement donnée aux autres.: "Dans les bidonvilles où j'ai vécu - je vais employer un mot un peu vulgaire, mais tant pis - on "rigolait", racontait-elle. Pas toujours, bien sûr [...]. Mais la joie régnait, une joie profonde, qui tenait à la solidarité." Par delà la mort elle continue de nous délivrer son message : "J'ai pensé à vivre d'amour, et je crois en effet que l'amour est éternel. Plus fort que la mort. La mort attaque tout ce qui est matériel. Mais tout ce qui est don, ce qui est gratuit, ne peut pas mourir."
Pour aller plus loin...
- Des livres de Soeur Emmanuelle -Yalla ! En avant les jeunes, Soeur Emmanuelle avec Françoise Huart, Calman-Levy (1997) – Livre de Poche - Chiffonnière avec les chiffonniers, Les Editions de l’Atelier / La Vie au Cœur (2002) - Vivre, à quoi ça sert ?, Sœur Emmanuelle avec Philippe Asso. Flammarion (2004) - J'ai 100 ans et je voulais vous dire, entretiens avec Annabelle Cayrol et Jacques Duquesne, Plon (2008) Tous les droits d'auteur de ses livres sont versés à son association, Asmaé.
- L'Association ASMAé, Amis de Soeur Emmanuelle poursuit son oeuvre auprès des enfants défavorisés du monde en Egypte et dans d'autres pays : www.asmae.fr