J'ai mal à ma famille !



Beaucoup de jeunes ont des "problèmes familiaux" : conflits avec leur père ou leur mère, jalousies avec les frères et soeurs, divorce des parents, sentiment d'injustice, d'abandon, de manque de liberté... Comment gérer ce mal-être à l'âge où l'on veut construire sa vie ? Conversation avec deux spécialistes de la thérapie familiale.




© Fotolia.com
© Fotolia.com
Anne-Catherine Le Vernoy est conseillère conjugale et thérapeute familiale. Sophie Génin psychologue clinicienne. Dans des consultations de "thérapie familiale", elles reçoivent des couples, des parents, des adolescents et des jeunes adultes.

Nous leur avons demandé de nous parler des difficultés familiales ressenties par les jeunes et souvent évoquées sur nos forums : "Mon père ne m'aime pas". "Je ne suis pas écoutée", "On ne me comprend pas", "J'ai manqué d'encouragement"... Des souffrances plus ou moins vives qui peuvent empêcher de se déployer à l'âge où l'on doit construire sa propre vie.

Quels sont les problèmes familiaux des jeunes qui viennent vous voir ?

Anne-Catherine Le Vernoy : "Je vois beaucoup de jeunes adultes qui ont des difficultés dans leur vie amoureuse. Cela nous amène souvent à parler de leurs liens familiaux, même s'ils ne viennent pas pour cela au départ.
Quant à ceux qui vivent sous le toit de leurs parents, les problèmes familiaux sont souvent imbriqués avec les problèmes du couple parental".

Sophie Génin : "De mon côté je vois en effet beaucoup de jeunes de 16-17 ans qui souffrent des difficultés de leurs parents. Il y a ceux qui disent 'mes parents se disputent tout le temps, comment puis-je les aider ?' et ceux dont les parents sont divorcés et qui vivent avec leur père ou leur mère. Ils voudraient aider celui qui souffre le plus, ou celui qui exprime le plus sa souffrance.
Des difficultés sont aussi liées aux relations intra-familiales avec les parents ou entre frères et soeurs.".

Et que leur dites-vous ?

Sophie G. : "Nous les aidons à découvrir qu'ils ne peuvent pas prendre la place de leurs parents. Il y a souvent une confusion énorme sur la place qui est la leur. Le problème de couple de leurs parents n'est pas le leur...
Dans une famille, chacun a sa place et c'est une illusion de penser être capable de porter la souffrance de l'autre. Nous les ramenons à leur problématique à eux.

Anne-Catherine L.V. : "Il y a au contraire un effort à faire pour être soi, dire ses propres besoins. J'ai reçu une jeune fille qui n'était pas heureuse du choix de la garde alternée mais qui n'osait pas le dire car elle avait peur de décevoir et de faire de la peine à l'un de ses parents. Elle ne se sentait pas libre de dire ce qu'elle voulait alors que c'est au contraire en disant "je", en parlant de ses besoins et ses attentes qu'elle se différencie et prend sa place.
 

Mais souvent, en famille, il y a plusieurs motifs de malaise ou de souffrance ?

Anne-Catherine L.V. : "Oui, souvent, tout va mal : il y a des problèmes scolaires, des problèmes par rapport à l'autorité, des jalousies avec les frères et soeurs. C'est un bric-à-brac de choses désagréables que l'on a supportées longtemps et puis, un jour, il y a un élément déclencheur qui fait qu'on n'en peut plus. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, mais il faut faire la différence entre l'élément déclencheur et ce qui n'allait pas depuis longtemps.

Sophie G. : "La première étape, c'est de décrypter quel est le problème, et quelle est la souffrance principale que l'on ressent. Quand on souffre, souvent, on n'arrive pas à définir le problème. On peut aller voir un psychologue mais avant, on peut aussi essayer d'en parler à quelqu'un autour de soi. La parole permet de commencer à tirer un fil de la pelote.
Par exemple quand on ressent une émotion désagréable, c'est souvent le signe qu'un de nos besoins n'est pas satisfait : cela peut être le besoin d'être écouté, d'être respecté, d'être encouragé...

Que dire à ceux qui ne se sentent pas aimés par leurs parents ?

Sophie G. : "Je leur conseillerais de rester très factuels, de repartir des faits qui leur font penser cela. Par exemple, mon père a raccroché quand je l'ai appelé et je pense que je ne l'intéresse pas. Il faut repartir de là et repenser aux émotions que l'on a éprouvées en commençant par le ressenti physique... Quand mon père a raccroché, qu'est-ce que cela m'a fait dans mon corps ?"

A quoi peut servir d'évoquer ces émotions ?

Sophie G. : "D'abord, cela permet de rester sur soi, de se différencier de l'autre pour éviter la confusion entre la souffrance de l'autre et la mienne. Et le corps est le premier vecteur qui permet de parler de soi, le corps ne ment pas.
Souvent, les jeunes partent tout de suite sur l'interprétation de ce qui s'est passé. Il m'a raccroché au nez parce qu'il ne m'aime pas. Et ils tombent dans le ressentiment, ils ruminent."

Anne-Catherine L.-V. : "Après, plutôt que d'interpréter ce que pense l'autre, je peux l'interroger : quand tu as raccroché, était-ce en lien avec ce que je t'ai dit ?".  Je peux me rendre compte que mon père a un  problème qui n'est pas lié à moi". 

Faut-il davantage se parler en famille ?

J'ai mal à ma famille !
Anne-Catherine L.-V. : "C'est souvent difficile de se parler car on est tout de suite dans l'émotion. C'est pourquoi on a aussi besoin de pouvoir dire des choses à sa 'famille élargie' ou à des amis.
Après, il y a des familles où on parle beaucoup sans rien se dire, et d'autres où l'on va à l'essentiel sans beaucoup de mots.

Souvent, les jeunes ont beaucoup de peurs : la peur de décevoir, la peur de sortir du rôle qu'on leur a donné. C'est pourquoi quand on est dans une grande souffrance familiale, cela facilite d'avoir une aide extérieure".

Comment aidez-vous les familles, par exemple les enfants et les parents à se parler ?

Anne-Catherine L.-V. : "Ne connaissant pas la famille qui vient nous voir, nous leur permettons de dire, de clarifier, de questionner l'implicite, de faire circuler la parole. Souvent, chacun imagine ce que l'autre peut penser, et il est très surpris de découvrir que ce n'est pas du tout ce qu'il avait en tête.
Parfois aussi dans certaines familles, il peut y avoir beaucoup de pudeur à dire les choses.  Je me souviens d'un exemple où l'on a proposé à un père et à son fils de dire les qualités qu'ils aimaient chez l'autre."

Sophie Génin : "Ces séances révèlent aussi les étiquettes que l'on peut se mettre. Souvent dans les familles, il y a le 'gentil', le 'rebelle', 'celui qui aide', 'le bavard'... En tant que jeune, je peux m'être fait enfermer dans un rôle que l'on m'a donné et que j'ai accepté. Mais est-ce que je choisis cette place, ou est-ce que je veux en sortir ?
Par notre comportement, nous avons toujours une part de liberté et de responsabilité : dans une famille, chacun a la place qu'on lui a donnée, celle qu'il a prise, et celle qu'il peut prendre en exerçant sa liberté.
On peut par exemple sortir de sa position de victime et reprendre le chemin de sa vie de manière nouvelle.

Est-ce que le fait de quitter sa famille à la fin de l'adolescence pour prendre son indépendance n'est pas une fçon de sortir des problèmes familiaux ?

Anne-Catherine L.-V. : "La séparation aide bien sûr à devenir autonome, à sortir de la fusion, mais la dépendance n'est pas seulement matérielle, elle peut être affective et c'est là que l'indépendance peut prendre plus de temps et la séparation ne pas être suffisante.

Si les relations entre les parents et les enfants sont douloureuses, cela peut permettre un soulagement ; le temps, le recul, la maturité peuvent permettre de se reconstruire, mais la cicatrice sera toujours là et s'il y a un élément déclencheur, la plaie risque de se rouvrir. C'est ce que découvrent souvent des jeunes adultes quand ils ont des difficultés dans leur propre couple. C'est là que l'aide d'une personne extérieure peut vraiment aider à mettre de la distance avec ce que l'on a vécu.

Sophie G. : "Oui, la distance géographique peut apaiser à court terme, mais elle ne résout rien. Parce qu'on ne peut pas divorcer d'avec ses parents.
Quelle que soit notre histoire, il y a tout un chemin à faire pour accepter nos parents tels qu'ils sont. Il faut faire le deuil des parents idéaux : il n'y a pas de parents parfaits et heureusement, car sinon nous n'aurions pas envie de les quitter !"...  

En résumé

Face à des difficultés familiales :
  • Bien distinguer l'élément déclencheur (une dispute par exemple), d'un problème de fond : quel est le problème et qui a ce problème ? 
  • Garder sa place et ne pas chercher à résoudre le problème de l'autre, par exemple celui de ses parents.
  • Sortir peu à peu de l'étiquette que l'on nous a donnée dans la famille, se donner la liberté d'être soi-même.
  • Ne pas attendre tout de l'autre mais prendre la part qui nous revient dans toute relation : dire ses envies, faire des propositions...
  • Si l'on souffre d'une situation, en parler à des proches pour prendre du recul et ne pas hésiter à se faire aider...


Contacts

J'ai mal à ma famille !
  • Anne-Catherine Le Vernoy, conseillère conjugale et thérapeute familiale
     
  • Contact : adevernoy@orange.fr

J'ai mal à ma famille !

Lundi 19 Décembre 2016
Propos recueillis par Michèle Longour

Psycho | Corps et sexualité | Amour | Couple | Un bébé ? | Addictions










Inscrivez-vous à la newsletter et téléchargez gratuitement le guide "La checklist pour réussir ses études"
Pour connaître mes droits sur le respect de la vie privée, je consulte les conditions générales de service.