Premières relations sexuelles : une sexologue en parle


Isabelle Lebertre est spécialiste en sexologie, conseillère conjugale et également intervenante auprès de jeunes. Elle a répondu à nos questions sur les début de la vie sexuelle. Pour elle, c'est le cœur à cœur qui conduit au corps à corps.



La sexualité se banalise : les premières relations sexuelles, est-ce toujours aussi important qu’autrefois ?

Isabelle Lebertre, sexologue
C’est toujours aussi important, la preuve c’est que l’âge moyen des premières relations n’a pas tellement baissé : c’est toujours 17 ans en moyenne pour les garçons et 17 ans ½ pour les filles. En revanche, du fait des médias notamment, il est vrai que nous baignons dans un monde où les messages sexuels sont très forts ce qui augmente les causes d’excitation et fait de nous, en quelque sorte, des voyeurs.

D’autre part, la pornographie a une telle influence, en particulier chez les garçons, que beaucoup finissent par réduire la sexualité à ces images. Ils ont en tête des représentations qui ne correspondent pas au réel, par exemple l’idée que l’homme doit soumettre la femme, ou qu’il faut "jouir", c’est le mot qu’ils emploient, de façon extrême. Chez certaines filles, on voit aussi apparaître un courant "Lolita", séductrices "jusqu'au bout des ongles", qui cherchent à attirer par leur corps. A chaque fois, c’est une vision de la sexualité qui semble réductrice.

Pourquoi est-elle réductrice ?

Chez les jeunes, la sexologie a tout intérêt à s'appuyer sur l’affectivité. C’est le cœur à cœur qui va conduire au corps à corps. La relation sexuelle réussie ne peut être que l’aboutissement d’une relation affective qui se construit. Même le temps de l’amitié peut aider à cela : l'amitié entre garçons, ou entre filles puis entre garçons et filles prépare à vivre plus tard une relation amoureuse en couple.

Pourtant l’amitié ne comporte pas de dimension physique ?

C’est vrai mais la relation sexuelle ne concerne pas uniquement le corps. Chaque être a trois dimensions : la première est celle du corps et de l’apparence extérieure, la deuxième comprend tout notre caractère avec ses mécanismes psychologiques, et la troisième est notre être plus profond, notre "caverne d’Ali Baba", le lieu de notre trésor !

Il arrive, par manque de confiance en soi, qu'on puisse le cacher en l'enfouissant, ou en tenant les autres à distance par nos comportements agressifs ou timides.

Il y aussi certains moments où nous-mêmes, très stupidement, nous arrêtons à l'apparence extérieure et passons à côté du trésor de l'autre. Il y a donc un apprentissage progressif à faire qu’on peut vivre à travers des amitiés : découvrir son propre trésor et prendre confiance en soi d’abord, parce qu’il faut s’aimer pour pouvoir aimer les autres. Puis découvrir le cœur d’une personne de façon privilégiée, et s’apprivoiser pour que les trois dimensions de la personne puissent avoir leur place dans la relation sexuelle.

L’appréhension de la première fois, ça existe toujours ?

A vrai dire, les garçons ne l’ont pas trop, les filles davantage. Elles ont surtout peur de s’être trompées ou d'être trompées sur les sentiments qu'elles éprouvent.

Elles ont aussi peur d’avoir mal. C’est vrai qu’il peut y avoir une petite douleur, de l’ordre d’une égratignure profonde, qui peut provoquer un petit saignement : cela correspond correspond à la "rupture" de l’hymen. L'hymen est cette petite membrane qui se trouve dans le vagin, toujours ouverte pour laisser passer les règles, plus ou moins souple, plus ou moins épaisse et plus ou moins ouverte.
Chaque femme a un hymen différent, aussi cela se passera de façon très différente d’une femme à l’autre. Il faut dissiper beaucoup de fantasmes à ce sujet : certains femmes ont un hymen très fin, qui "se déchire" de lui-même, en particulier lors de la pratique de certains sports. D’autres ont un hymen plus résistant qui ne disparaitra complètement qu’à la deuxième relation sexuelle, voire même parfois lors du premier accouchement.

Mais même d’un point de vue psychologique, en comparant le corps à une maison, il est clair qu’il est plus difficile de laisser quelqu’un rentrer chez soi, que d’aller chez l’autre.

La virginité représente-t-elle encore quelque chose ?

La virginité, c’est bien autre chose que cette histoire d’hymen, en tout cas pour les femmes, d’autant plus, comme je l’ai dit, que certaines activités peuvent "l’avoir déchiré". En fait, la virginité est symbolique : cela correspond à un certain respect, à l’idée que la relation physique est un don de soi. Que peut-on faire de mieux que de donner son corps ?

Dans certaines cultures, on voit des jeunes filles qui pour garder une virginité purement physique acceptent, par ignorance et devant l’excitation masculine, la pratique sexuelle de la sodomie. Cela n'a pas de sens. Chacune ou chacun doit se redire : "J’ai le droit de dire non, ce n’est pas parce que j’aime un garçon/une fille que je dois accepter toutes ses demandes si elles ne correspondent pas au sens que je donne à l’amour".
Cela dit, ce qui peut être vécu dans un flirt est aussi de l’ordre du don : le baiser est une mini relation sexuelle en quelque sorte. C’est déjà une découverte très intime de l’autre qui sollicite nos cinq sens. D'ailleurs, pour une femme, un baiser volé, forcé, pourra donner l'impression d'avoir été salie, humilié, et même violée. La virginité est là aussi hautement symbolique, nous le voyons bien.

Et le plaisir ? Des jeunes femmes se disent souvent déçues par ces premières expériences…

Là encore, les représentations de la vie sexuelle sont souvent loin de la réalité. D’un point de vue strictement biologique, la femme n’est pas "programmée" pour avoir des orgasmes, cela n’a rien d’automatique, et c’est très inégal d’une femme à l’autre, ou d’une relation à l’autre. Ce type de jouissance va être de l’ordre de l’apprentissage à l’intérieur d’un couple. Il faut aussi que l’homme soit doux et patient. Il est clair qu’une jeune fille qui a une relation sexuelle précoce de façon un peu pulsionnelle, avec peu ou pas de sentiments, sans avoir prévu de contraception, risque d’en garder un mauvais souvenir. Et si en plus le garçon est brutal, voire violent, elle va avoir mal et va se dire : "Si c’est ça les relations sexuelles, j n'en veux plus !". Quant à l’homme, la physiologie le pousse vers l’éjaculation prématurée dite aussi précoce, et s’il n’apprend pas à gérer ses pulsions sexuelles, il gardera cette tendance. Tout est question de temps pour apprendre, de talents et de sens que l'on donne à ce que l'on fait.

Et comment peut-il gérer ses pulsions ?

Toujours en donnant du sens à sa sexualité. En développement la relation avec la personne aimée qui est quelque chose de bien plus riche que l’acte sexuel isolé. L’organe le plus important de la relation sexuelle, c’est le cerveau, autant chez l'homme que chez la femme. C'est lui qui donne l'ordre aux gonades sexuelles (testicules et ovaires) et aux glandes surrénales de commencer la fabrication des hormones à la puberté, c'est lui aussi qui va gérer les pulsions sexuelles qui sont des pulsions de vie, et c'est encore lui qui est le lieu de l'attirance et du désir sexuels.
Etre heureux, c'est tenter d'unifier ces trois dimensions du corps, du cœur et du cerveau. Quand nous sommes malheureux, c'est souvent parce que nous sommes divisés. Dans la pornographie par exemple, le corps devient un objet de jouissance et pour la jouissance, il ignore la dimension du cœur et du cerveau.

Que faire pour que ces premières relations soient heureuses ?

D’abord, prendre son temps. Il faut du temps pour construire une relation, pour vérifier ses sentiments, pour découvrir la personnalité de l’autre, ses différences. Plus on aura pris son temps, en passant par les étapes du flirt, du baiser, plus la sexualité sera satisfaisante. Plus une jeune femme se sentira aimée et respectée, plus elle sera en confiance et pourra s’abandonner. Et même si les premières relations sexuelles ne sont pas totalement réussies, le couple qui s’aime a tout son temps pour "trouver sa propre musique" en construisant sa relation. Et puis l’amour du couple se nourrit aussi d’autres éléments.

Lesquels ?

Si on le compare l'amour du couple à une fleur, on peut dire que la vie sexuelle est un pétale, l'attirance et le désir sexuel un deuxième pétale, le plaisir d'être ensemble et d'en jouir le troisième, mais il y en a d'autres tout aussi importants : celui de l’engagement - je suis l'élu (e), j'existe pour l'autre, je suis reconnu(e), je compte pour lui/pour elle, je compte sur elle/sur lui, il peut compter sur moi et je compte sur lui/sur elle -, celui de la fécondité - donner la vie ensemble à des enfants, mais aussi à des projets, faire ensemble, construire ensemble -, celui de la fidélité, et enfin le dernier pétale, celui de l'exclusivité : je choisis un homme et je renonce aux autres, je choisis une femme et je renonce aux autres ainsi je deviens l'unique de l'autre…

Que dire à ceux ou celles qui ont peur de ne pas être à la hauteur ou qui ont été blessés par de premières expériences ?

Parfois, nous sommes allés plus vite que la musique parce que nos pulsions sexuelles sont très vives et peuvent mettre notre corps comme "en ébullition" parce qu'on ne savait pas comment faire. Parfois on n'ose pas en parler. Parce que nous étions dans l'ignorance, nous tâtonnions, nous cherchions et parfois les découvertes ne sont pas heureuses... En étant philosophes nous pourrions dire que c'est la vie et ses quêtes ! Les choses de la vie prennent du temps.

Bien sûr, cela peut être angoissant d'avoir l'impression d'avoir été le "jouet" de l'autre, il y a eu un malentendu et cela peut nous pousser à recommencer, pour vérifier que l'on peut séduire encore et toujours, parfois aussi pour faire "payer à l'autre" ses propres déceptions et déboires. A notre tour on "se joue de l'autre". Soit au contraire, on peut être comme "bloqué(e), freiné(e)" avec la peur "de ne pas y arriver" ou alors on a peur de souffrir, de se tromper et c'est une façon de se protéger.

Il y a aussi ceux et celles qui pensent que cela se passera bien avec l'homme ou la femme de leur vie parce qu'ils auront multiplié les expériences ou regarder des films à caractère pornographique ; c'est tout le contraire : il n'y a pas d'urgence ! L'amitié et l'amour ne tombent pas du ciel. Cela se construit tranquillement jour après jour, un peu comme notre maturité affective qui grandit et s'embellit avec le temps si on la cultive.
 

Propos recueillis par Michèle Longour
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