Peut-on tout pardonner ?


Certains actes paraissent impardonnables, surtout ceux qui nous ont profondément blessés ou ont touché ceux que nous aimons. Pourtant sans nier le mal qui a été fait, il est vital de se reconstruire... et la démarche du pardon est une clé de cette guérison intérieure. Un long chemin toutefois à parcourir.



"Me faire une chose pareille, je ne pourrai jamais le pardonner !" Erick a été trompé et abandonné. Il en reste profondément blessé, comme tous ceux qui sont victimes d'une trahison, d'une injustice, d'une humiliation ou d'une agression.

Chacun "encaisse" à sa manière... certains se replient sur eux-mêmes pour cacher leur blessure, d'autres font mine de repartir comme si de rien n'était.

En fait, beaucoup gardent un ressentiment, éprouvant même l'envie de se venger, de rendre le mal, de blesser celui qui les a blessés ou même ceux qui ne leur ont rien fait. Comme cette jeune femme qui après une rupture douloureuse ne pouvait s'empêcher d'agresser son nouvel amoureux :"J'ai l'impression qu'elle me fait payer ce que lui a fait son ancien petit ami", dit-il.

Renoncer à la vengeance, une première étape

Pourtant la tentation de la vengeance est la première pierre qui empêche d'avancer sur le chemin de la pacification.

En effet cet esprit de vengeance vous garde tourné vers le passé, vous ressassez votre histoire, vous revivez sans cesse ce qui s'est passé, et cela vous empêche justement d'aller vers l'avant...

Le mal que vous projetez de faire ou que vous faites est comme un venin qui vous empoisonne et vous défigure. Vous vous avilissez, vous vous abaissez, vous n'êtes plus vous-même. Au final vous vous faites violence et vous perdez l'estime de vous-même.

Faire souffrir parce qu'on vous a fait souffrir ne fait qu'ajouter un mal à mal. Inconsciemment vous pouvez ressentir de la culpabilité, vous n'êtes pas en paix...
C'est pourquoi même si l'on se sent encore incapable de pardonner, il est urgent de décider de renoncer à la vengeance.

Pardonner, ce n'est pas nier ou oublier

En réalité on a souvent de fausses idées du pardon. "Allez, c'est bon, c'est oublié"... "Je préfère ne plus en parler"... Pardonner, ce n'est pas oublier. D'ailleurs, il est quasiment impossible d'oublier un événement qui a provoqué en vous beaucoup d'émotion : de la peur, de la colère, de l'humiliation.

Ce n'est pas non plus nier la blessure ou l'attaque que nous avons subie. "Ce n'est pas grave, je ne t'en veux pas"... Parfois on souffre tellement d'avoir été trompé ou humilié par une personne très proche, qu'on préfère minimiser les choses ou lui chercher des excuses. "Elle m'a trompé, mais pour moi, ce n'est pas grave".
Pas de pardon possible sans justice

Ces attitudes ressemblent à des pardons, mais ce ne sont pas des pardons. Juste des masques, des cache-misère, des refus de voir la vérité en face. Elles ne peuvent pas apporter d'apaisement profond.

Pardonner n'est pas non plus renoncer à ses droits. Si vous êtes victime d'agression, d'injustice, il est légitime et important de porter plainte. Ne pas le faire, c'est nier le mal qui vous a été fait, et c'est un peu vous nier vous-même.

La justice est un autre pas, nécessaire pour sortir du trouble et commencer à guérir sa blessure. Cela n'a rien à voir avec une vengeance personnelle.

Il est inutile également de vouloir pardonner à quelqu'un qui continuerait de vous attaquer. Il faut d'abord faire cesser cette situation ou ces actes : vous ne pouvez pas pardonner à votre chef ses paroles humiliantes si cela se se reproduit chaque jour. Essayez d'abord de vous soustraire à ses sarcasmes : changez de service, de travail, intentez un recours, si vous le pouvez allez lui parler pour qu'il cesse ses réflexions.

Exprimer sa souffrance, parler de sa douleur à quelqu'un

Non seulement il ne sert à rien de nier sa souffrance, mais il est important d'y repenser. Les psychologues conseillent de laisser remonter les émotions que l'on a ressenties et de ne pas avoir peur de les analyser. Dur, dur... Alexis a été victime d'un copain qui lui a proposé de placer son argent mais s'est envolé avec toutes ses économies comme un vulgaire escroc. En y repensant, il a l'estomac noué. Il ressent de la colère, de l'amertume et de l'abattement. Il en veut à son prétendu ami de l'avoir trompé bien sûr, mais se rend compte peu à peu qu'il est aussi en colère contre lui-même. Il s'en veut de s'être laissé avoir et ressent même un peu de honte...

L'idéal pour exprimer toute cette souffrance est de trouver une oreille attentive pour être écouté. Un confident, un ami, une personne de confiance, discrète, qui ne va pas vous accabler de conseils ou chercher à tout prix à vous consoler. Parler de sa blessure permet de se sentir moins seul pour la porter. Cela permet aussi de revivre l'événement blessant avec plus de calme, en se sentant sécurisé. Si vous avez été victime de violences, vous pouvez recourir à un professionnel : services d'écoute téléphonique spécialisés, lieux d'accueil psychologique, etc.
 
Accepter la souffrance que l'on a subie permet de la soigner et de la transformer

En exprimant vos émotions, vous les apaisez peu à peu, et vous identifiez mieux les points douloureux : Alexis se rend compte qu'il souffre autant de l'humiliation de s'être fait avoir que de la perte de son argent. Ce n'est pas s'enfermer dans sa souffrance ou se regarder le nombril, mais découvrir et accepter ses propres fragilités.

A ce stade, il faut s'accepter, vulnérable : oui, je suis susceptible sur la question du travail car j'ai très peur de l'échec. Il n'y a plus alors qu'à être indulgent avec soi-même, et parfois à se pardonner. Cela permet de retrouver son estime de soi : j'ai un point sensible, mais je ne suis pas nul ! On m'a humilié sur un point de mon physique, mais cela ne m'empêche pas de plaire et d'être aimé, etc.

Finalement, le fait d'accepter la souffrance que l'on nous a infligée permet de la soigner et de la transformer à son avantage. "Il en est du mal que l'on t'a fait comme d'un hameçon dans le doigt : tu ne peux pas l'enlever en l'arrachant, mais tu dois l'enfoncer davantage dans la chair pour en dégager la pointe de manière à l'extirper", indique un psychologue dans un livre sur le pardon.

Comprendre celui ou celle qui nous a fait mal

Le pardon est un cheminement assez long, qui peut prendre du temps comme une blessure qui doit cicatriser. Il y a plusieurs étapes sur ce chemin, que l'on ne peut pas sauter. Après l'acceptation de sa souffrance, souvent, on peut commencer à penser à l'agresseur pour essayer de mieux comprendre son geste.

C'est une étape incontournable mais là encore, il ne faut pas se tromper : il ne s'agit pas de lui trouver des excuses, mais de porter un regard plus réaliste sur les raisons de son geste. Dans les premiers temps après le coup subi, bien sûr, on est aveuglé par la colère et la douleur. On est si blessé, qu'on ne peut que le haïr, le diaboliser.

Mais avec le temps, peu à peu, la colère peut laisser la place à ce besoin de le comprendre. Pourquoi a-t-elle agi ainsi ? Pourquoi a-t-il eu ce geste ? Quelle était son intention ? Qu'est-ce qui peut expliquer sa violence ? La raison reprend alors sa place à côté des émotions. L'agresseur est vu comme un être humain avec ses fragilités et ses faiblesses, sa dignité aussi même si son geste reste très grave. Bien sûr, si celui-ci peut reconnaître sa faute et demander lui-même pardon, il sera plus facile de pardonner, mais ce n'est pas toujours possible.

Mama Galledou, 27 ans, brûlée vive dans un bus : peut-elle pardonner ?

L'attitude de Mama Galledou, cette Sénégalaise de 27 ans brûlée grièvement en 2006 dans un autobus que des jeunes avaient incendié volontairement, est exemplaire. Quand le procès s'ouvre, elle ne sait pas si elle aura la force de venir. Aucun des jeunes accusés n'a avoué son geste. Finalement, elle accepte de témoigner en visio-conférence. Elle raconte le terrible attentat, les flammes, la douleur, la convalescence, son corps brûlé à 62%. Touchante de dignité, elle ne demande pas vengeance, mais veut comprendre pourquoi les six jeunes ont fait cela.

"Que la vérité soit faite : c'est cela que nous attendons du procès". Mama interpelle directement les six adolescents. Pourquoi n'ont-ils pas attendu que les passagers aient quitté le bus avant d'y mettre le feu, pourquoi ne l'ont-ils pas secourue ?
"Maintenant, c'est fini dans ma tête

Au début, les jeunes restent murés dans le silence. Puis celui qui a mis le feu fini par craquer et par avouer son geste. Il demande pardon. C'est le soulagement, le tournant du procès. Mama Galledou et sa famille ont eu ce qu'ils voulaient. Les jeunes sont condamnés à des peines moins longues que ce que l'accusation avait requis mais la victime ne fait pas appel. "Maintenant, c'est fini dans ma tête", dit-elle.

Trouver un sens à ce qu'on a subi

Pour avancer encore sur ce chemin de guérison et de pardon, un jour, il est bon de se demander ce que l'on a retiré de positif de son épreuve. "J'ai appris à dire non quand ça ne correspond pas à mes valeurs", "J'ai plus d'attention ou de compréhension pour les autres", "J'ai cessé de chercher à me faire valoir", "Je me connais mieux", etc, etc. Toute expérience, même douloureuse , peut porter du fruit et trouver un sens.

Au départ, notre vie peut sembler détruite, comme un puzzle démantelé par ce qu'on a subi, mais peu à peu une nouvelle vision de la vie se reforme, les pièces du puzzle forme un nouveau dessin.
 
Plus nous sommes détruits,
plus il est important de cheminer vers le pardon pour se reconstruire

"Il y a beaucoup de choses qu'à présent je trouve futiles. D'autres, au contraire, qui me semblent extrêmement importantes", a dit Mama Galledou après son procès.

Voilà pourquoi il est particulièrement important de faire ce chemin de pardon pour les grandes épreuves. Nous ne pourrons peut-être pas tout pardonner, mais plus nous sommes détruits et atteints, plus il est important d'aller vers le pardon pour pouvoir nous reconstruire.

Maïti Girtanner : 40 ans plus tard, elle pardonne à son ancien bourreau

Maïti Girtanner, elle, a mis toute sa vie à mûrir son pardon. A 18 ans, en 1944, elle est arrêtée par les nazis pour Résistance et torturée par un jeune médecin allemand. Libérée in extremis, elle subira toute sa vie les séquelles des coups reçus et devra renoncer à devenir pianiste ou avoir des enfants.

Pourtant elle puise dans sa foi en Dieu la force de revivre, et de croire que l'amour est plus fort que la haine. Jusqu'à ce jour de 1984 où 40 ans plus tard, son ex bourreau la retrouve et vient la voir. Il lui demande pardon et elle s'entend lui pardonner. La preuve s'il en est qu'il faut souvent longtemps pour mûrir cet acte intérieur.

Faut-il se réconcilier ?

Un jour en effet, on se sent plus léger, libéré de son ressentiment, de ses envies de vengeance, de son statut de victime. A-t-on oublié son agresseur ? Non, ni ce que l'on a subi, mais on n'est plus obnubilé par le passé. On peut alors décider librement de pardonner, sans se faire violence : il n'y a plus qu'à accueillir ce mouvement du pardon comme un fruit mûr qui tombe d'un arbre.

Cela veut-il dire que l'on doit se réconcilier avec celui qui nous a fait mal ? Pas forcément. On peut se réconcilier, mais si l'on reprend une relation interrompue, les choses ne peuvent être exactement "comme avant" : c'est à nous de tirer parti de ce que nous avons découvert. On peut aussi décider de ne pas poursuivre la relation ou ne plus avoir l'occasion de revoir notre agresseur.

Tout ceci n'empêche pas d'accorder intérieurement son pardon. C'est ce qu'a pu faire une fille devant le lit de mort de son père qui était inconscient. En lui disant intérieurement qu'elle lui avait pardonné, elle s'est sentie apaisée. Une chose est sûre : le pardon brise des chaînes bien pesantes et donne une nouvelle liberté pour aller de l'avant.

Cet article a été remis à jour en janvier 2015. Les commentaires de la version antérieure ont été conservés.

Lundi 12 Novembre 2018
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