Lycée professionnel : une nouvelle réforme bientôt mise en chantier


Emmanuel Macron a confirmé lors d'une visite au lycée professionnel vendéen Eric Tabarly le 13 septembre qu'il veut transformer la voie pro en la rapprochant des entreprises. Une réforme qui suscite déjà des résistances.




Le président de la République en visite au lycée professionnel Eric Tabarly en Vendée © Twitter @EmmanuelMacron / capture vidéo
"On a besoin de la faire, cette réforme du lycée pro !". En ce mardi 13 septembre 2022, c'est face aux élèves et à l'équipe enseignante du lycée Eric Tabarly, aux Sables-d'Olonne en Vendée, qu'Emmanuel Macron est venu marteler sa conviction.

Comme il l'a déjà indiqué lors de la campagne présidentielle et précisé à la veille de la rentrée scolaire 2022 à la Sorbonne, les cursus proposés dans les lycées professionnels, qui dépendent de l'Education nationale, doivent selon lui être profondément transformés.

C'est manifestement l'une des feuilles de route confiées au ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye, mais aussi à Carole Grandjean, ministre déléguée à l'enseignement et à la formation professionnelle, qui accompagnaient tous les deux le chef de l'Etat aux Sables-d'Olonne.
 

Vers des lycées professionnels plus proches des entreprises


La réforme qu'Emmanuel Macron a commencé à dévoiler veut intensifier  la relation aux entreprises pour favoriser l'insertion des jeunes à la sortie.

La mesure phare qui devrait s'appliquer dès la rentrée 2023 serait un doublement des stages en entreprise. Actuellement les stages en entreprise occupent 25% du temps en bac pro. Les élèves suivent par ailleurs au lycée des enseignements professionnels (45% du temps) dispensés par des professeurs dépendant de l'Education nationale, et des cours d'enseignement général (français, maths, anglais) sur 30% du temps. 

 
Source : Education nationale


Or le président de la République a reconnu à plusieurs reprises qu'il ne fallait pas rogner sur l'enseignement du français ni des maths, la faiblesse des bacheliers professionnels en la matière étant une difficulté pour la poursuite d'études ou l'insertion.  

Le temps supplémentaire accordé aux stages en entreprise pourrait donc être pris sur les enseignements professionnels délivrés dans les ateliers des lycées, d'autant qu'Emmanuel Macron a aussi évoqué la nécessité de faire intervenir davantage de professionnels dans les formations. 
 


Le succès de l'apprentissage en ligne de mire

En réalité, le projet gouvernemental pour les lycées professionnels - déjà réformés en 2018 - est largement influencé par le succès remporté par la réforme de l'apprentissage mise en oeuvre depuis 2017.

Celle-ci  a consisté à simplifier le dispositif jusque-là administré par des institutions (notamment les régions) et à laisser les entreprises et les branches professionnelles ouvrir les centres de formation d'apprentis (CFA) dont elles avaient besoin.

Stimulées par de généreuses aides à l'embauche d'apprentis durant la crise Covid les entreprises ont alors multiplié les offres de contrats d'apprentissage pour atteindre le chiffre record de 733 200 contrats en 2021.
Elles utilisent aussi de plus en plus l'apprentissage pour former et pré-recruter des jeunes sur les emplois qu'elles peinent à pourvoir ou qui requièrent des compétences spécifiques. 

C'est cet exemple qu'Emmanuel Macron a clairement présenté le 13 septembre pour inspirer la réforme des lycées pro.

La liste et la carte des bacs pro devrait évoluer

Concrètement, la liste et la carte des diplômes (CAP et bac professionnels) devraient être revues, région par région, afin de mieux mettre en adéquation les formations des lycées pro avec les besoins des entreprises locales. 

La concertation se doit d'être locale, a indiqué Emmanuel Macron, qui a évoqué la possibilité de commencer par des expérimentations.

En amont, dès le collège, les jeunes pourraient découvrir certains métiers dès la 5ème, afin de susciter leur motivation et d'éviter que l'orientation vers ces filières soient dictées par l'échec 

 


Quid de la réforme de 2018 ?

Rappelons cependant que la "transformation des filières peu insérantes" et le développement des formations tournées vers les métiers d'avenir étaient déjà inscrites dans la réforme lancée en 2018. 

L'apprentissage devait aussi être proposé dans les lycées professionnels en parallèle de la formation sous statut scolaire. Or seulement 60 000 élèves ont ce statut sur plus de 600 000 lycéens professionnels car le boom de l'apprentissage a surtout profité à des diplômés de l'enseignement supérieur, les entreprises étant moins enclines à recruter et à former des apprentis plus jeunes des niveaux CAP et bacs pro. 

La réforme de 2018 (largement ralentie par la crise du Covid) a aussi repoussé le choix de la spécialité de bac à la classe de première. En seconde, les jeunes choisissent actuellement entre 19 familles de métiers, et acquièrent des compétences professionnelles plus générales.

Enfin, elle prévoyait que les enseignants des matières professionnelles interviennent en cours de français et de maths avec leurs collègues des matières générales, et que les élèves mobilisent toutes leurs compétences et leurs talents pour réaliser un "chef d'oeuvre" pour le bac.

Or ni Emmanuel Macron ni Pap Ndiaye (pour qui ces sujets sont assez nouveaux) n'ont fait référence à ces mesures dont un premier bilan serait pourtant bienvenu.
 

Une forte résistance des syndicats enseignants


En tout cas la réforme annoncée rencontre de fortes résistances chez les enseignants des lycées professionnels et leurs syndicats. Outre la menace qu'elle peut constituer pour leurs postes, ils contestent l'intérêt de doubler le temps de stages en entreprise pour les élèves eux-mêmes.

Dans un communiqué publié dès la fin août 2022, le SNUEP-FSU y voit "un renoncement sans précédent de la part du ministre à la dimension éducative et émancipatrice de leur formation et une entrave organisée à leurs poursuites d’études".

"C’est aussi laisser à penser un mensonge tenace concernant le rôle formateur de l’entreprise, estime le syndicat. En stage les élèves sont une main-d’œuvre comme les autres, ils apprennent «sur le tas» uniquement des gestes techniques, sans qu’aucun personnel n’ait du temps dédié pour les accompagner".

D'autres voix contestent le fait que les élèves soient cantonnés à des choix dictés par les besoins des entreprises locales.
 

Des bacheliers professionnels souvent... sans projet professionnel


Tout en approuvant le projet de revaloriser les baccalauréats professionnels pour les rapprocher du monde de l'entreprise, l'association Article 1 - qui oeuvre pour l'égalité des chances - a aussi apporté ses réserves.

Il faut "encadrer la démarche afin de ne pas laisser les jeunes être influencés par des entreprises qui viendraient trop tôt les solliciter", estime Benjamin Blavier, cofondateur d'Article1 dans un communiqué.

L'association, qui aide beaucoup de lycéens professionnels à s'orienter souligne qu'aujourd'hui, 40% des lycéens pro n'ont pas de projet défini au moment où ils passent le bac. Chiffre paradoxal pour une filière qui vise théoriquement une insertion professionnelle rapide. 
 

Des bacheliers qui poursuivent de plus en plus d'études après le bac

Ceci explique sans doute qu'un nombre croissant de bacheliers professionnels (environ 60% d'entre eux !) choisissent de poursuivre des études après le bac, alors qu'à sa création en 1985, le bac professionnel était uniquement destiné à préparer l'entrée dans la vie active. 

L'un des mouvements de fond de l'enseignement supérieur ces dernières années a donc été de multiplier les passerelles ou d'élargir les places dans les formations postbac pouvant convenir à ces jeunes - souvent peu préparés à des études générales dans le supérieur : en BTS principalement, en mention complémentaire, dans des formations professionnelles courtes de niveau bac+2/3, dans des CFA, chez les compagnons du devoir, des écoles du numérique, ou des cursus plus improbables comme un bachelor en école de commerce

Or à ce niveau, les formations en alternance paraissent tout à fait adaptées aux jeunes issus de la voie professionnelle, ainsi que les cursus proposés par les campus des métiers et des qualifications qui rassemblent sur un même site des lycées mais aussi d'autres organismes de formation initiale ou professionnelle autour d'un pôle d'excellence.

Des innovations que la réforme annoncée ne pourra ignorer si elle veut réellement servir les besoins des bacheliers professionnels.
 



Rédigé par le Mardi 13 Septembre 2022
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