Lujain, place de la Bastille à Paris au mois d'avril 2016 (Crédit photo : A.-L. S)
"Lorsque la guerre civile a éclaté en 2011, j'étais étudiante en «économie mention comptabilité» à l'université de Daraa, à une heure de route de Damas où je vivais avec ma famille.
Peu de temps après le début du conflit, la guerre a commencé à devenir très concrète. D'abord, les trajets en car entre la maison et la fac ont commencé à devenir beaucoup plus longs. Sur la route, nous rencontrions des soldats de l’armée du président Bachar Al-Assad, ils nous forçaient à descendre du bus, fouillaient nos sacs et nous demandaient d'embrasser des photos du président. Parfois, au contraire, nous tombions sur des membres de l'Armée Libre, les opposants au régime. Eux, nous contraignaient à piétiner des photos du président ou à cracher dessus.
Il est également arrivé que nous soyons pris dans des échanges de tirs et que certains étudiants soient touchés. Mais malgré la peur, je voulais mon diplôme et surtout, il était hors de question pour moi de ‘lâcher’ mon université.
Au quotidien, j’ai également vu les prix augmenter énormément. Des choses que nous faisions tous les jours, sont devenues plus rares, comme par exemple manger de la viande ou acheter certains produits. Ma maman était professeure de biologie et mon papa ingénieur, mais tout le monde s’est appauvri rapidement. J’ai donc donné des cours de mathématiques pour faire mes propres achats.
Autour de nous, les gens ont aussi commencé à se diviser et à prendre leurs distances en fonction de leurs idées ou de leurs appartenances religieuses. J’ai vu des amis s’éloigner soudainement. Auparavant, nous ne faisions pas attention à ce genre de différences."
Peu de temps après le début du conflit, la guerre a commencé à devenir très concrète. D'abord, les trajets en car entre la maison et la fac ont commencé à devenir beaucoup plus longs. Sur la route, nous rencontrions des soldats de l’armée du président Bachar Al-Assad, ils nous forçaient à descendre du bus, fouillaient nos sacs et nous demandaient d'embrasser des photos du président. Parfois, au contraire, nous tombions sur des membres de l'Armée Libre, les opposants au régime. Eux, nous contraignaient à piétiner des photos du président ou à cracher dessus.
Il est également arrivé que nous soyons pris dans des échanges de tirs et que certains étudiants soient touchés. Mais malgré la peur, je voulais mon diplôme et surtout, il était hors de question pour moi de ‘lâcher’ mon université.
Les gens ont commencé à se diviser en fonction de leurs idées ou leur religion
Au quotidien, j’ai également vu les prix augmenter énormément. Des choses que nous faisions tous les jours, sont devenues plus rares, comme par exemple manger de la viande ou acheter certains produits. Ma maman était professeure de biologie et mon papa ingénieur, mais tout le monde s’est appauvri rapidement. J’ai donc donné des cours de mathématiques pour faire mes propres achats.
Autour de nous, les gens ont aussi commencé à se diviser et à prendre leurs distances en fonction de leurs idées ou de leurs appartenances religieuses. J’ai vu des amis s’éloigner soudainement. Auparavant, nous ne faisions pas attention à ce genre de différences."
« A chaque bombardement, je perdais la parole »
"Au plus fort du conflit, l'université que je fréquentais a été bombardée alors que j’étais à l’intérieur. Dans cette attaque, j'ai perdu un ami très proche. Il est mort à côté de moi. Un professeur me criait d’avancer, de l’enjamber mais j’étais incapable de marcher. J’étais bloquée : c’était tellement choquant ! J’ai demandé qu’on l’emmène avec nous, je ne pouvais pas imaginer que nous le laissions sur place.
Puis, ma famille a commencé à être directement la cible des soldats de Bachar Al-Assad. D'abord parce que l'un de mes oncles avait dans le passé été opposant à son père, Hafez Al-Assad, puis parce que ma mère et mon grand frère ont participé à des opérations de soutien aux plus pauvres et aux victimes du régime. Des soldats sont donc venus chez nous, à plusieurs reprises, pour fouiller notre maison.
Un jour, il y a même eu un bombardement tout près de chez moi. En arrivant de l’école, j’ai cru que c’était dans ma maison et que toute ma famille était morte. Je suis restée paralysée. Un homme est venu me relever. Je ne pouvais que répéter : ‘Ma famille, ma famille !’ Il m’a emmenée chez mon grand-père qui vivait à côté. C’est un souvenir horrible. A ce moment là, j’ai même prié pour mourir avec mes proches.
Heureusement, ma famille était saine et sauve. Ils m’ont rejointe chez mon grand-père. Un médecin m’a fait une piqûre pour me calmer, mais j’étais tellement choquée que je suis restée sans voix pendant près de deux mois. Par la suite, à chaque bombardement, je perdais la parole car cela me rappelait cet épisode vraiment traumatisant".
Puis, ma famille a commencé à être directement la cible des soldats de Bachar Al-Assad. D'abord parce que l'un de mes oncles avait dans le passé été opposant à son père, Hafez Al-Assad, puis parce que ma mère et mon grand frère ont participé à des opérations de soutien aux plus pauvres et aux victimes du régime. Des soldats sont donc venus chez nous, à plusieurs reprises, pour fouiller notre maison.
"J'ai cru ma maison détruite et toute ma famille morte"
Un jour, il y a même eu un bombardement tout près de chez moi. En arrivant de l’école, j’ai cru que c’était dans ma maison et que toute ma famille était morte. Je suis restée paralysée. Un homme est venu me relever. Je ne pouvais que répéter : ‘Ma famille, ma famille !’ Il m’a emmenée chez mon grand-père qui vivait à côté. C’est un souvenir horrible. A ce moment là, j’ai même prié pour mourir avec mes proches.
Heureusement, ma famille était saine et sauve. Ils m’ont rejointe chez mon grand-père. Un médecin m’a fait une piqûre pour me calmer, mais j’étais tellement choquée que je suis restée sans voix pendant près de deux mois. Par la suite, à chaque bombardement, je perdais la parole car cela me rappelait cet épisode vraiment traumatisant".
« J’ai commencé à étudier nuit et jour »
"Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, je voulais poursuivre des études, mais cela devenait impossible en Syrie. Début 2014, j’ai donc décidé de quitter le pays grâce à une association d'étudiants syriens dont certains sont installés en région parisienne. Grâce à eux, j'ai pu obtenir un visa étudiant pour la France. Je suis allée jusqu'à Beyrouth avec des personnes rencontrées sur l'équivalent syrien de ‘Blablacar’. Je n’arrêtais pas de pleurer, je pensais à ma mère, j'avais peur de ne plus jamais la revoir.
En arrivant à Roissy, j'étais très angoissée : j'avais entendu dire que les Français avaient beaucoup de préjugés, qu'ils n'aimaient pas les femmes voilées. Du coup, j'avais l'impression que tout le monde me regardait. J'avais peur d’être agressée. J'ai rapidement commencé à étudier en licence d’économie et de gestion à l'université de Créteil, mais je ne parlais pas français et avec mon voile, je me sentais vraiment transparente dans l’amphithéâtre.
J'étais très déprimée : il y avait l'angoisse pour ma famille restée en Syrie et toutes les démarches administratives à faire pour obtenir le statut de réfugiée. Cela a été particulièrement douloureux lorsque j'ai dû donner mon passeport syrien. J'ai eu l'impression que l'on me déchirait de l’intérieur.
Seule en France, je me suis alors dit à moi-même : ‘Je suis là pour quelque chose, je n'ai pas d’autre choix que de réussir’. Je me suis mise à étudier nuit et jour. Et les professeurs ont commencé à faire attention à moi et à m’encourager. J'ai également réussi à me faire des amis, à montrer que le voile n'était pas un obstacle, que je pouvais danser le tango, aller en discothèque et qu’importe si, sur la table, il y avait mon coca à côté des bières de mes amis."
En arrivant à Roissy, j'étais très angoissée : j'avais entendu dire que les Français avaient beaucoup de préjugés, qu'ils n'aimaient pas les femmes voilées. Du coup, j'avais l'impression que tout le monde me regardait. J'avais peur d’être agressée. J'ai rapidement commencé à étudier en licence d’économie et de gestion à l'université de Créteil, mais je ne parlais pas français et avec mon voile, je me sentais vraiment transparente dans l’amphithéâtre.
"Quand j'ai dû donner mon passeport syrien, j'ai eu l'impression que l'on me déchirait de l'intérieur"
J'étais très déprimée : il y avait l'angoisse pour ma famille restée en Syrie et toutes les démarches administratives à faire pour obtenir le statut de réfugiée. Cela a été particulièrement douloureux lorsque j'ai dû donner mon passeport syrien. J'ai eu l'impression que l'on me déchirait de l’intérieur.
Seule en France, je me suis alors dit à moi-même : ‘Je suis là pour quelque chose, je n'ai pas d’autre choix que de réussir’. Je me suis mise à étudier nuit et jour. Et les professeurs ont commencé à faire attention à moi et à m’encourager. J'ai également réussi à me faire des amis, à montrer que le voile n'était pas un obstacle, que je pouvais danser le tango, aller en discothèque et qu’importe si, sur la table, il y avait mon coca à côté des bières de mes amis."
« La France devenait un peu mon pays »
Pendant ce temps-là, en Syrie, la situation se dégradait et les menaces étaient de plus en plus difficiles à supporter pour ma mère et mon frère. Le jour où ce dernier a été agressé par des soldats de Bachar Al-Assad, ils ont décidé de venir me rejoindre en France. J’ai fait toutes les démarches pour que nous puissions avoir un appartement. Cela a été très compliqué mais j’y suis arrivée juste avant leur arrivée.
Lorsque j’ai retrouvé ma mère à l’aéroport, ç'a été un moment très fort. Elle m'a serrée dans ses bras, ça m’avait tellement manqué ! J’ai alors senti que la France devenait un peu mon pays. Parce qu’au fond, mon vrai pays c’est elle, c’est ma mère. J’ai aussi vu ma petite nièce pour la première fois. Ensuite, j’ai aidé mon frère, ma belle-soeur et ma petite soeur à s’inscrire à l’université pour poursuivre leurs études. C’est plus difficile pour ma mère qui était très active en Syrie. Elle cherche du travail ou même à faire du bénévolat pour commencer.
De mon côté, je cherche un stage dans une entreprise où le fait d’être voilée ne pose pas de problème, et je postule à des masters dans des grandes écoles. J’aide aussi au sein d’associations caritatives comme le Secours Catholique qui m’a beaucoup soutenue à mon arrivée.
A long terme, mon objectif serait de faire un doctorat d’économie. J’aimerais aussi vivre dans un pays où toutes les religions se pratiquent au grand jour et se côtoient sans problème. Et pourquoi pas, un jour voyager, peut-être aller voir la Palestine d’où je suis originaire."
Lorsque j’ai retrouvé ma mère à l’aéroport, ç'a été un moment très fort. Elle m'a serrée dans ses bras, ça m’avait tellement manqué ! J’ai alors senti que la France devenait un peu mon pays. Parce qu’au fond, mon vrai pays c’est elle, c’est ma mère. J’ai aussi vu ma petite nièce pour la première fois. Ensuite, j’ai aidé mon frère, ma belle-soeur et ma petite soeur à s’inscrire à l’université pour poursuivre leurs études. C’est plus difficile pour ma mère qui était très active en Syrie. Elle cherche du travail ou même à faire du bénévolat pour commencer.
"J’aimerais aussi vivre dans un pays où toutes les religions se pratiquent au grand jour et se côtoient sans problème"
De mon côté, je cherche un stage dans une entreprise où le fait d’être voilée ne pose pas de problème, et je postule à des masters dans des grandes écoles. J’aide aussi au sein d’associations caritatives comme le Secours Catholique qui m’a beaucoup soutenue à mon arrivée.
A long terme, mon objectif serait de faire un doctorat d’économie. J’aimerais aussi vivre dans un pays où toutes les religions se pratiquent au grand jour et se côtoient sans problème. Et pourquoi pas, un jour voyager, peut-être aller voir la Palestine d’où je suis originaire."