La féminité, c'est quoi exactement ?


La féminité, est-ce un truc pour poupée Barbie ou une réalité commune à toutes les femmes ? Réponses en forme d'entretien avec Marie-Alix de France, enseignante en philosophie, qui poursuit un travail de recherche sur l'identité féminine.



Parler de féminité, n’est-ce pas un peu dépassé aujourd’hui ?

Marie-Alix de France : En effet la féminité, la virilité, voire la galanterie, cela évoque le temps où sévissait la domination masculine, où l’on enfermait la femme dans un carcan étouffant.
Or nous avons l'impression aujourd’hui de vivre à une époque où tout sexisme est dépassé. On connaît l’école mixte, on prône l’égalité des sexes, on s’émerveille devant la "répartition des tâches" dans la vie de famille, on établit des quotas pour garantir l’accès des hautes professions aux femmes, etc.

Alors l’égalité des sexes est acquise ?

Le magazine de mode Elle dit témoigner de la libération de la femme... mais continue à publier des images stéréotypées.
Il ne faut va pas crier victoire (si telle était la victoire) trop tôt. Les choses continuent d’avancer, on ne peut nier le gain pour la femme qui est mieux reconnue comme partenaire au niveau social, de plus en plus aussi dans le monde professionnel, plus lentement dans celui de la politique. Et ces gains sont justes et légitimes.
 
Mais on voit encore perdurer ou apparaître certaines formes d’aliénation. Par exemple, la société de consommation présente toujours la femme dans la publicité comme un "objet de plaisir". Les femmes s’y plient elles-mêmes, elles cherchent à ressembler au canon idéal des magazines. Et comme c'est impossible puisque nous ne sommes pas toutes faites sur le même moule (!), beaucoup ont un mal fou à s'aimer elles-mêmes et en souffrent ; il peut s'en suivre des difficultés à entrer en relation vraie et profonde avec les autres, en particulier avec les hommes, et des problèmes de couple.

D’autant que ce modèle aliénant, cela fait un moment qu'il sévit dans l'occident, non ?

De fait, et nous pourrions prendre à notre compte la révolte contre la domination ou l’exploitation d’un sexe au dépens de l’autre, comme le faisaient les philosophes Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir il y a 50 ans.
Car il y a là une recherche légitime de reconnaissance d’égale dignité de chaque sexe, le désir d’être traités en égaux. La difficulté, c’est que les mouvements héritiers de ces philosophes ne proposent pas une égale dignité mais une domination renversée de la femme sur les hommes (elles doivent être les premières dans tous les domaines), ou une indifférenciation : l’identité sexuelle est indifférente, tout le monde peut non seulement tout faire, mais tout être. C’est le modèle androgyne.

Que voulez-vous dire par là ?

 Il s’agit de mettre au second plan le donné biologique (mon corps d’homme ou de femme) et de refuser tout conditionnement culturel ou social qui cantonnerait chacun dans un rôle spécifique (femme au foyer …). Cela peut même aller jusqu’à une interchangeabilité entre les deux sexes (transsexualisme). "On ne naît pas femme on le devient", disait Simone de Beauvoir.
C’est ce que défend la théorie du "gender" venue des USA et  officiellement prônée par l’ONU : on ne se laisse pas déterminer par son sexe, on choisit d’être l’un ou l’autre, d’agir comme l’un ou l’autre. Je devrais en ce sens pouvoir aller demain à la mairie et demander à ne plus être Mme Unetelle, mais Mr Untel. C’est l’affirmation d’une liberté absolue qui devrait être la garantie de l’égalité entre les personnes.

Mais ne confond-on pas l’égalité avec l’identité : tout en étant égaux, sommes-nous identiques et interchangeables ?

L'attirance homme-femme vient de l'altérité (être autre) : chacun a quelque chose de différent qui attire et complète.
En effet, ces théories ne prennent pas en compte la richesse propre de chaque identité sexuelle et de leur complémentarité. L’expérience l’atteste pourtant au quotidien.
Par exemple au niveau du vécu du couple, l’attirance homme-femme s’alimente de l’altérité, chacun a quelque chose de différent qui attire et complète. Sinon nous risquons la fusion, et donc la confusion.

De même l’enfant se structure aussi par rapport à sa place au sein de la famille. Les psychologues eux-mêmes soulignent la place structurante des parents de sexes opposés, et si cela n’est pas possible la présence nécessaire de référents parentaux ; faute de quoi c’est l’identité de l’enfant qui ne peut se structurer. On voit aussi que les rôles dans le couple ou la famille  ne sont pas équivalents et identiques ; il faut que chacun ait une place à tenir qui ne peut s’échanger, mais à partir de laquelle il va pouvoir y avoir des échanges avec les autres parce que chacun a besoin de donner et de recevoir.

Et au fond, nous commençons à voir chez ceux-là mêmes qui militaient pour l’indifférenciation, un malaise d’insatisfaction, tout se passe comme si elle ne réalisait pas ses promesses d’épanouissement et de liberté dans les profondeurs de l’être.

Vous avez dit malaise ?

Oui, le fait que pour une femme aujourd'hui tout soit théoriquement possible, ouvert, surtout au début de sa vie d’adulte, avec tous les choix déterminants que l’on doit faire en quittant la sécurité des parents, cela génère une grande angoisse : on a plus de mal à se définir et donc à faire des choix, y compris sur le plan professionnel.

Si la société me dit qu’il faut braver les normes et m’inventer moi-même, jusqu’où aller ? Jusqu’au conflit ? Quelle place accorder aux hommes, qui finissent par ne plus savoir comment prendre les femmes ?! N’ai-je pourtant pas besoin de modèles ? Quel mode de vie puis-je suivre ? Quelles en seront les conséquences pour mon avenir et mon identité sexuelle qui est quand même une réalité basique de ma personne ?

Selon vous donc, l’identité sexuelle est une réalité que l’on a tendance à gommer : on ne sait plus comment en tenir compte ?

La maternité ? Une question à se poser avant 40 ans.
Oui, un exemple courant est celui de la femme misant tout sur une carrière épanouissante ne permettant pas de vie familiale, mais qui vers 35 ans est saisie par la question de l'enfant, parce qu’elle sait qu’elle dispose de moins de dix ans de fertilité.

Cette question s’avère aigüe chez celles qui ont omis d’inclure leur identité sexuelle dans le sens qu'elles donnent à leur vie : parfois elles ont beau avoir une vie sexuelle, elle ne se posent pas jusqu'au bout la question de la vie conjugale ou maternelle, et celle de l'engagement que cela implique.

Il y a aussi des insatisfactions qui ne sont pas uniquement d’ordre culturel, mais liées au biologique et aux hormones qui circulent 24 heures sur 24 dans notre système sanguin. Il ne faut pas oublier que nous sommes une personne avec son intelligence, certes, mais aussi un corps, un être doté d’une psychologie spécifique. Nous ne sommes pas des cerveaux sur pattes !

Comment alors être à l’aise dans sa peau de femme, et intégrer cette fameuse identité sexuelle ?

Il faut d'abord intégrer tout ce qui constitue sa personnalité, sa propre histoire, c' est primordial. Un malaise par rapport à sa féminité peut trouver son origine dans le passé, la petite enfance : on peut par exemple avoir été bien ou mal accueillie en tant que fille ; on peut avoir été blessée dans ses relations avec les garçons ; mal vivre l’apparition des premières règles, les cycles, les transformations du corps à l’adolescence. On peut vivre plus ou moins bien une méthode de contraception, une grossesse, un avortement, etc…
Ensuite, on peut se demander quel rapport on entretient avec le sexe opposé dans la vie quotidienne, sociale et professionnelle : est-ce que je cherche à inspirer confiance, à garder distance ou à séduire, à exhiber mon corps ou au contraire à me protéger ? Et il faut chercher le pourquoi de mes réactions.

Aimer, pour réaliser sa féminité et donner un sens à sa vie.
Enfin, il ne faut pas faire pas l’impasse sur la question du sens de sa vie. Il nous revient d’inventer le visage de la femme du troisième millénaire et selon moi, cette femme ne peut pas se vivre bien sans exister avec – et pourquoi pas pour – l’homme et les enfants.
Au fond, la femme ne trouve-t-elle pas autant de joie à aimer ? Dire cela, ce n'est toutefois pas prôner un retour à de vieilles formules étriquées ; il nous faut comprendre ce qu’est la nature de la femme, et celle de l’homme, pour créer une nouvelle conjugaison respectueuse de chacun, et permettant l’éclosion de chacun.

Il faudrait donc construire sa personnalité comme un tout : en intégrant appartenance sexuelle, psychologie, compétences, rôle social et aspirations personnelles ?

Je dirais même que cette unité est la voie du bonheur ! Peut-être même que l’homme a un rôle à jouer pour nous aider à la découvrir … ! Est-ce que je lui laisse la place de me le montrer et de m’y aider ?

la rédaction
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