Former à la transition écologique : l'enseignement supérieur interpelle les candidats à la présidentielle


Après le rapport du climatologue Jean Jouzel qui préconise de former 100% des bac+2 à la transition écologique, les présidents d'universités et les directeurs de grandes écoles demandent au futur président de la République un signal fort pour faire évoluer toutes les formations.




Par leurs projets et leurs engagements, les étudiants ont déjà fait entrer ces sujets dans les établissements © Helena Lopes / Pexels

C'est sans doute le bon moment pour porter sur la place publique un grand enjeu de société. Près d'un mois avant les élections présidentielles, le 23 mars 2022, près de 150 présidents d’universités et directeurs d’écoles ont lancé un appel commun aux candidats lors d'une conférence organisée par France Universités, la Conférence des grandes écoles (CGE) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi).

 
"Avec et pour les étudiants, nous devons réussir la transition écologique et énergétique plutôt que la subir !"

Laissant au vestiaire les divisions internes, tous ont plaidé pour que la transition écologique, énergétique et sociétale entre au programme de toutes les formations du supérieur, comme le préconise le rapport remis en février 2022 à la ministre de l'Enseignement supérieur. 

"Avec et pour les étudiants, nous devons réussir la transition écologique et énergétique plutôt que la subir !", ont-ils lancé aux divers candidats à la présidentielle, en regrettant que le sujet ait si peu de place dans les débats de campagne.

Former les étudiants de niveau bac+2 en priorité

Présidé par Jean Jouzel, climatologue et membre du GIEC, le groupe qui a produit ce rapport propose de former en priorité les étudiants des deux premières années postbac, niveau dans lequel ils sont le plus nombreux.

L'objectif, ambitieux, serait de former aux enjeux de la transition écologique 100% des étudiants de niveau bac+2 d'ici cinq ans, que ce soit à l'université, en BTS, en IUT, en école ou en formation professionnelle.

Comment ? Invité d'honneur de la conférence du 23 mars, le climatologue a détaillé les préconisations de son groupe de travail : "On pourrait créer des modules nouveaux - qui représenteraient 6 ECTS sur les deux ans - mais ces sujets doivent aussi s'insérer dans des enseignements qui existent déjà." 

"Cependant nous n'avons pas voulu être trop directifs afin de respecter la liberté pédagogique et l'autonomie des établissements", précise Jean Jouzel.


La conférence organisée le 23 mars autour de Jean Jouzel


Une offre de formation très disparate selon les filières et les établissements

Le rapport remis en février 2022 fait certes le constat que 38% des établissements affichent déjà clairement la problématique de transition écologique dans leur stratégie. Et 69% d’entre eux affichent au moins une formation incluant la question environnementale. 

Depuis 2019, le mouvement s'accélère nettement, mais selon les auteurs du rapport, il faut aller plus loin et ne pas se contenter de formations pour spécialistes ou d'événements ponctuels, mais intégrer les questions de transitions dans toutes les filières.

"Nous voulons entraîner tout le monde, et c'est bien la difficulté", indique Jean Jouzel, qui s'interroge par exemple sur la possibilité de faire évoluer les études de santé, ainsi que les formations courtes.

 


Mutualiser les formations et renforcer le lien entre le lycée et le supérieur

Du fait du manque d'enseignants formés, ces modules pourraient être mutualisés entre filières ou établissements. Le rapport remis à Frédérique Vidal souligne à cet égard l'intérêt des "politiques de site", qui consistent à rapprocher les établissements - notamment universités et grandes écoles - et à créer des ponts entre filières. 

Le lien entre le lycée et le supérieur devrait aussi être resserré autour de ces questions.

 
Faire un diagnostic à l'entrée du supérieur pour situer les acquis des lycéens ?

"Nous proposons par exemple que les éco-délégués des lycées puissent créer des liens avec les étudiants et les chercheurs", explique Jean Jouzel. Autour de projets, d'événements, de labellisations communes par exemple.

Les auteurs du rapport avancent même l'idée de faire un "diagnostic" des acquis des lycéens sur les questions de transition à l'arrivée dans le supérieur. Un nouvel examen ?!  Il ne s'agirait pas de vérifier des connaissances, mais de "placer l’étudiant en situation de réflexion concrète, lui permettant de mobiliser ses acquis au service d’une situation nouvelle, que ce soit individuellement ou collectivement."  précise le rapport Jouzel (§ IIC)

Former à des compétences pour donner sens aux connaissances

Le rapport Jouzel adopte en effet une approche basée non pas uniquement sur les connaissances à transmettre aux étudiants, mais sur les compétences qu'ils doivent acquérir pour répondre à l'urgence climatique.

Il identifie ainsi 5 grandes compétences (inspirées d'autres référentiels) que chaque filière pourrait décliner à sa façon et dans des formats pédagogiques variés et novateurs.

"Les étudiants doivent par exemple mieux appréhender la démarche scientifique (compétence 2) en comprenant que tout n'est pas certain et qu'il faut sans cesse évaluer les stratégies en fonction des observations", explique Jean Jouzel, lui-même confronté à l'incertitude des modèles d'évolution climatique.
 

Les 5 compétences à acquérir

● Appréhender les équilibres et les limites de notre monde par une approche systémique (comprendre qu'un comportement peut impacter l'environnement local et par là-même mondial)
● Saisir les ordres de grandeur et les incertitudes par une analyse prospective. 
● Co-construire des diagnostics et des solutions 
● Utiliser les outils pour concrétiser les évolutions
● Agir en responsabilité

Les étudiants en première ligne de la co-construction

S'il faut apprendre à "co-construire" des solutions (compétence 3), c'est que la collaboration entre entreprises, chercheurs, décideurs publics et citoyens sera une nécessité pour réussir la transition écologique et sociale.

La réforme des formations ne pourra donc pas se faire sans les étudiants. "Soyons clairs, a reconnu le président de la Conférence des grandes écoles le 23 mars, les étudiants ont été aux avant-postes de cette prise de conscience écologique dans nos écoles".
 
"Ce sont les étudiants d'aujourd'hui qui seront aux manettes pendant les trente prochaines années dans les entreprises

Autre certitude martelée par tous les dirigeants d'université ou d'école : "ce sont les étudiants d'aujourd'hui qui seront aux manettes demain dans les entreprises. Ce sont eux qui devront trouver des solutions pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 !" D'où l'intérêt de les former dès maintenant, par l'enseignement mais aussi par l'action.

Les étudiants n'ont d'ailleurs pas attendu leurs écoles et leurs universités pour interpeller eux-aussi les décideurs politiques. Le mouvement des étudiants "Pour un réveil écologique" avait ainsi convié le 22 mars les candidats à la présidentielle à un débat... auquel n'ont participé hélas que des représentants de chaque équipe de campagne.

Les candidats à la présidentielle interpellés, l'Etat mis au pied du mur

Le rapport de Jean Jouzel, lui, a bien été remis officiellement en février 2022 à la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche (MESRI). Et il souligne que cette transformation ne se fera pas sans moyens spécifiques, par exemple pour renforcer des équipes d’enseignants-chercheurs, et financer la formation d’enseignants.

Tous les présidents d'université et directeurs de grande école appuient cet appel aux pouvoirs publics d'impulser, de financer et d'encadrer largement cette transformation de l'enseignement supérieur.
 
On ne peut pas enseigner la transition dans des locaux universitaires qui sont des passoires énergétiques !

"On peut démarrer par ce module obligatoire de 6 ECTS car je suis persuadé que cela peut faire boule de neige, a déclaré Manuel Tunon de Lara, président de France Universités. Mais attention : on ne peut pas enseigner la transition dans des locaux universitaires qui sont des passoires énergétiques !"

"Il y a une attente forte des étudiants et des enseignants et nous avons besoin d'un amorçage volontariste", ont confirmé le président de la CGE et celui de la Cdefi.

Un décalage entre les attentes des jeunes et les thèmes de la campagne présidentielle

Concrètement, Jean Jouzel dit espérer la tenue d'une grande réunion de lancement en mai 2022, autour des nouveaux ministres de l'Education et de l'Enseignement supérieur.

Il préconise aussi la création d'une structure pérenne pour suivre la mise en musique de son rapport dans les établissements.

Reste que pour l'instant, l'enseignement supérieur et la transition écologique et sociale sont des sujets peu abordés dans la campagne présidentielle, en décalage avec les attentes de la jeunesse et la convergence de tous les établissements.



Rédigé par le Mercredi 30 Mars 2022
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