Enfants nés de mères porteuses à l'étranger : la Cour de cassation protège le droit français et les intérêts de l'enfant


La Cour de Cassation a rendu le 6 avril 2011 un arrêt jugeant que des enfants nés à l'étranger d'une mère porteuse ne pouvaient être reconnus par l'état civil français. A l'heure ou les lois de bioéthique sont rediscutées, ces trois arrêts de la plus haute juridiction française mettent fin à dix ans de débats juridiques. La Cour entend préserver l'intérêt des enfants dont ni la paternité ni la maternité n'est remise en cause, et asseoir la prédominance du droit français sur les lois internes étrangères.




Les circonstances de la naissance d'Isa et Léa

Il y a dix ans, un couple de Maison-Alfort (Val-de-Marne), Sylvie et Dominique Menesson, ayant des difficultés à avoir un enfant décident de faire appel à une mère porteuse. La loi française ne permet pas la "gestation pour autrui".
Le couple détourne cette difficulté. Ils demandent d'abord à une amie de leur faire un don d'ovocyte et concluent en Californie un accord avec une femme inconnue qui portera leur future progéniture pour un "dédommagement" de 12000 dollars (8500 euros). A l'issue de cette grossesse naissent deux petites filles, Isa et Léa.

Un acte de naissance californien controversé

Le couple se rend alors au consulat français de Los Angeles pour obtenir que les noms des enfants puissent figurer sur leur livret de famille, ce qui leur est refusé au motif qu'ils ne résident pas aux Etats-Unis.  Le consul saisit les services juridiques de l'état civil des Français nés à l'étranger. Et un processus judiciaire s'engage alors pour "tentative de simulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'enfants".

Par sa décision d'avril 2011, la Cour veut donc réaffirmer sa souveraineté sur des questions d'ordre public de cette importance, et ne pas se faire forcer la main par des pratiques illicites qui voudraient encourager des dérives éthiques. En outre la Cour a rappelé que la décision "ne privait pas les enfants de la paternité ni de la maternité que leur reconnait le droit californien."

La décision de la Cour de cassation saisie pour trancher sur le droit  implique que le père biologique des enfants sera considéré par l'état civil comme étant bien le père d'Isa et Léa, mais que son épouse, n'étant ni la mère biologique, ni la femme qui a porté les enfants, ne pourra pas être reconnue comme leur mère par l'état civil. Elle devra donc avoir recours à la procédure d'adoption dont les conséquences, bien que différentes sur le papier, n'emporteront aucunes incidences vis-à-vis du lien qui s'est, par la force des choses, établi entre ces enfants et celle qui a pris en charge leur éducation. Reste à souhaiter pour ces petites filles qu'elle ne subissent dans l'avenir de troubles liés aux circonstances compliquées de leur venue au monde.

Quels intérêts pour les enfants, objets d'un projet parental ?

La Cour précise enfin que la décision de refus de la transcription ne porte pas atteinte au droit , au respect de la vie privée et familiale de ces enfants(...) ni à leur intérêt supérieur .
Mais qu'est-ce que l'intérêt supérieur des "enfants faisant l'objet d'un projet parental" ? Les termes même de cette phrase donnent à réfléchir : un être peut-il être "l'objet d'un projet" ?
Au cours du débat sur les lois de bioéthique du 5 avril 2011, la sénatrice   Marie-Thérèse Hermangeau a contesté cette vision : "Soit nous considérons que la science crée la vie, que l’homme peut être un produit fabriqué. Soit que c’est la vie qui crée la science. Il faut saluer la science lorsqu’elle sert l’être humain et la combattre quand elle se sert de lui. Voilà notre vraie fonction de législateur !"

En outre il est opportun de s'interroger sur la possibilité pour ces futurs jeunes gens de s'enraciner paisiblement dans une histoire familiale commune? Isa et Léa nous partagerons peut-être cela dans quelques années.

Vers une GBA "propre et nette"?

La décision de la Cour de cassation relance aussi le débat sur la pratique des "mères porteuses", ou GBA (Gestation pour autrui). Certains veulent l'autoriser en fixant des limites et un cadre (ne pas autoriser des femmes sans enfants à porter pour autrui, fixer une limite d'âge, limiter le nombre de gestations, exclure toute relation financière, faire prendre en charge les frais par l'Etat).

D'autres s'opposent à sa légalisation, comme Hélène Goutal Valière, du Nouveau Monde, car la GBA représente selon elle un risque non négligeable pour les enfants concernés.

La psychothérapeute témoigne de son expérience de plus de quinze ans à l'hôpital Henri Roussel (Paris) où elle a été amenée à suivre des enfants adoptés nés sous X et dont la filiation maternelle s'était perdue : "Ces enfants "allaient bien", ils ne présentaient aucune pathologie particulière mais arrivaient dans notre consultation du fait d'une profonde souffrance existentielle méconnue qui se manifestait à bas (ou à grand) bruit, par des symptômes n'ayant en apparence rien à voir avec leur état-civil mais  concernaient principalement les apprentissages scolaires, caractérisés par des comportements pseudo-caractériels, des passages à l'acte, des épisodes d'angoisse et de dépersonnalisation. Les questions sur les origines, la curiosité sexuelle sur les conditions de leur conception, noyau de la curiosité intellectuelle et de la permission de penser, sans réponse et vides de représentation, restaient un noyau traumatique jusqu'à ce que penser – apprendre – devienne à des degrés divers un objet d'évitement."

Derrière des alibis compassionels, de réels risques de dérives.

Par ailleurs, pour la thérapeute, la "gestation pour autrui" est un alibi altruiste, moral, compassionnel et eugéniste. Elle nous rappelle dans son point de vue publié par lemonde.fr du 11 janvier 2011), ce documentaire sur la pratique de la GBA en Inde où le médecin (femme) passait la visite quotidienne de femmes alignées sur des matelas au repos dans une sorte de couveuse. "Un élevage en batterie, en somme." 

L'auteur évoque cette réquisition rémunérée du ventre des femmes au bénéfice d'un tiers qui depuis la prostitution ne peut être considérée comme une nouveauté.  Elle termine son argumentaire par l'exemple de l'instrumentalisation des femmes à des fins eugénistes  sous le troisième Reich, duquel les enfants étant issus souffrent toujours de l'irreprésentable de leur origine. Ces derniers exemples pour sembler caricaturaux n'en témoignent pas moins des excès dont l'homme est capable quant le respect de principes fondamentaux d'ordre public ne sont pas protégés.

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Rédigé par Milène Rapp le Jeudi 7 Avril 2011
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