Des étudiants en droit ouvrent leur clinique juridique gratuite


Une vingtaine d'étudiants en droit de l'université Paris 8 ont monté avec leurs enseignants une "clinique juridique". Objectif : offrir une assistance juridique gratuite et passer de la théorie à la pratique. Une super idée empruntée aux universités américaines et adaptée aux besoins du 9-3.



A Saint-Denis, des centaines d'étudiants fréquentent chaque jour les bâtiments cubiques de l'Université. Ici on vient chercher savoir, formation, culture... mais aussi de simples conseils pour renouveler ses papiers ou se faire payer ses heures sup.

Dans l'UFR de droit, la salle A218 abrite en effet depuis novembre 2013 les activités d'une "Clinique juridique". Trois matinées et deux après-midis par semaine, toute personne peut y venir sans rendez-vous pour soumettre ses problèmes à des experts du droit qui ne sont autres que des étudiants en cursus LMD coachés par certains enseignants.

L'université française descendrait-elle de son piédestal pour mettre son savoir au service du premier manant venu ? Et l'étudiant pourrait-il apprendre non uniquement en cours et en TD mais en se confrontant à la résolution de "cas pratiques" présentés par ceux qui les vivent ?

Une association qui rassemble étudiants, enseignants et juristes

C'est en tout cas l'intuition qu'à eu Benjamin Pitcho, avocat et maître de conférence à Paris 8 Vincennes Saint-Denis, en proposant à un groupe d'étudiants d'ouvrir leur clinique juridique.

Parmi eux Clément, étudiant en L2 en cette année 2013-2014. "J'ai tout de suite été attiré par la finalité sociale de la clinique, explique-t-il. Les gens hésitent à aller voir un avocat de but en blanc, alors en proposant une première information gratuite, on a vraiment l'impression de rendre service. Et puis en droit, on a beaucoup de théorie, on manque de pratique, c'est très formateur pour nous".

En quelques semaines, une association se constitue. Elle accueille une vingtaine d'étudiants, du niveau L2 (deuxième année de licence en droit) à master (cinquième année), auxquels s'adjoignent quelques enseignants. Des partenariats se nouent aussi avec des avocats spécialisés et d'autres juristes qui pourront être appelés à la rescousse pour aider les étudiants à donner leurs avis. Tous bénévoles bien sûr.

Comment ça marche ?

Pour faire connaître leur "clinique", les étudiants ont commencé par poser quelques affichettes dans la fac. Le bouche-à-oreille et surtout un reportage aux infos régionales de France 3 ont fait le reste. Les "patients" ont vite afflué !

"Concrètement, on assure des permanences par groupe de 2-3 étudiants, raconte Clément. On écoute la personne, on lui pose des questions pour bien comprendre son problème, mais on ne donne aucune réponse tout de suite". La clinique ne traite d'ailleurs pas les affaires relevant du droit pénal, des litiges avec l'université ou d'autres cas trop complexes. Reste un bon nombre de situations souvent liées au respect du droit du travail, au droit de personnes étrangères souhaitant faire renouveler leur carte de séjour, etc.

Les étudiants ont ensuite deux semaines pour étudier le  problème et rédiger un avis qui sera envoyé à la personne. Sans se substituer au travail que pourra rendre un avocat, ils informent, conseillent sur les démarches à accomplir, et aiguillent éventuellement vers les professionnels adaptés à la situation. "C'est un investissement assez conséquent, reconnaît Clément. Il faut aller en bibliothèque, se référer aux textes. On peut aussi demander l'avis des juristes plus expérimentés liés à la clinique".

'C'est formateur, on apprend de nos erreurs"

L'étudiant reconnaît qu'il faut parfois "mettre sa vie personnelle de côté". Mais sans regretter son engagement : "moi j'en tire beaucoup, ça m'a confirmé dans mon projet de devenir avocat. Là on a une vraie personne en face de soi, on comprend l'enjeu de l'aide qu'on peut apporter et du travail que cela représente."

L'apport est aussi pédagogique, car les étudiants sont bien sûr encadrés par les enseignants membres de la clinique : "On leur soumet nos avis avant de les envoyer et on apprend beaucoup sur la façon de rédiger. Au début, il faut reconnaître que c'était assez catastrophique, mais on progresse assez vite et jusque-là, les gens semblent satisfaits de nos avis".

Les étudiants améliorent aussi la façon de mener un entretien : "On apprend de nos erreurs. Au début, on oubliait de poser des questions essentielles aux personnes, et il fallait les rappeler. Aujourd'hui on voit mieux ce qu'il faut demander, et puis le fait d'être 2 ou 3 nous aide".

Une activité qui compte dans le cursus universitaire

La fac de droit prend-elle en compte la belle expérience acquise par ces étudiants ? Pour l'instant, la participation à la clinique juridique vient se substituer à une note en "histoire du droit du travail" en L3. Un certificat doit aussi être accordé à l'étudiant à la fin du cursus.

Mais l'objectif est d'aller plus loin : faire de la "Clinique juridique" un "diplôme d'université" (DU) peut-être, ou un "programme" à part entière entrant dans le cursus universitaire. A l'image des cliniques juridiques qui existent déjà depuis longtemps dans les universités américaines et font partie intégrante de l'enseignement.

Un expérience à dupliquer ?

Benjamin Pitcho, président fondateur de la Clinique juridique de Paris 8.
"La Clinique juridique renouvelle en profondeur l'enseignement du droit, qui ne repose plus seulement sur des apprentissages théoriques mais sur l'accueil du public et sur la résolution de problèmes juridiques de terrain", assure son président fondateur, Benjamin Pitcho, qui dit sa conviction "qu'il faut pérenniser et diffuser ce modèle pour les étudiants, pour les personnes vulnérables et pour les territoires".

En tout cas d'autres universités ont pris contact avec la Clinique juridique de Paris 8 Vincennes Saint-Denis pour dupliquer l'expérience.

Et côté étudiants, nombre de nouveaux candidats frappent à la porte. "Il faut être au moins en L2, avoir de la motivation, être assez à l'aise dans ses études et dans un travail d'équipe", précisent les actuels "cliniciens"qui recrutent eux-mêmes les nouveaux membres. Encore un des aspects innovants de cette initiative.


Rédigé par le 18 Avril 2014
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